Des ruines de ruines

Du complexe abbatial qui s’étendait sur près de 33 hectares, ne subsiste en 1832 que la façade occidentale de l’église et ses deux tours de pierre blanche, un abreuvoir, un puits, l’entrée de l’enclos et quelques tronçons du mur de clôture.

En 1834, les tours et le terrain qui les environne sont achetés aux héritiers Défontaine par MM. Crétal et Tartois, entrepreneurs de travaux publics, en vue de l’exploitation des matériaux. Afin de préserver ces derniers vestiges et pour répondre au vœu formulé par la commune de conserver la tour lui servant de clocher, l’État et le Département du Pas-de-Calais les rachètent pour trente mille francs en 1836. Une commission de surveillance des tours du Mont-Saint-Éloi est créée en 1842 pour veiller à leur conservation.

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Si les tours présentent un indéniable intérêt historique et archéologique reconnu dès 1810, elles sont aussi un point intéressant de topographie. Ainsi la commission des antiquités départementales avance, en 1872, cet argument pour convaincre le préfet du bien-fondé de leur classement et de leur restauration : Ce monument présente un intérêt maritime, puisque ses tours peuvent être vues de certains points de la Manche. Il pourrait également servir à des observations météorologiques . 

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Lorsqu’en 1914, les troupes allemandes s’installent sur les collines de Lorette et de Vimy, les tours du Mont-Saint-Éloi, hautes de 53 mètres et situées sur une colline à 130 mètres d’altitude, deviennent pour les soldats français de redoutables postes d’observation, mais aussi du même coup la cible des tirs d’artillerie allemands. Le pilonnage ennemi aura raison du cinquième niveau des tours qui ne mesurent plus que 44 mètres en 1915. 

Devenues l’un des symboles de la barbarie allemande, les tours du Mont-Saint-Éloi entrent dès 1918-1919 dans les sites patrimoniaux proposés à la visite par le comité de tourisme d’Arras et des champs de bataille de l’Artois.

Le "barde de l’Artois", Émile Poiteau, engagé comme médecin de campagne durant la guerre, publie en 1933 un recueil de poèmes Pèlerinages en Artois inspirés par la commémoration et le souvenir. Les illustrations sont l’œuvre d’ Arthur Mayeur. 

Arthur Mayeur est né dans le Pas-de-Calais, à Bouvigny-Boyeffles, le 6 mai 1871. Titulaire d’un grand prix de Rome, il se fixe à Paris où il collabore aux grandes revues artistiques, reçoit des commandes de l’État, produit pour la Chalcographie du Louvre. En 1906, il est nommé membre de la Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais. C’est donc naturellement qu’il est mis à contribution par le gouvernement lors de la Première Guerre mondiale. Envoyé par le ministre de la Guerre pour une mission d’art sur le front en 1915, Mayeur se consacre à la représentation des derniers vestiges des monuments sur le front d’Artois.

Durant la guerre, l’archiviste Alexis Lavoine obtient une note préfectorale interdisant aux habitants de Mont-Saint-Éloi de réutiliser les pierres de taille tombées des tours.

À partir de 1921 et le classement de l’ensemble des ruines, leur protection redevient une priorité : Paul Decaux entreprend des travaux de déblaiement et de consolidation, menés sous la direction de l’architecte Pierre Paquet. Les tours sont cependant laissées dans l’état de destruction causé par les bombardements allemands comme un symbole du front d’Artois .

Poste de secours situé à l’entrée du village sur la chaussée Brunehaut et, en arrière-plan, les tours de l’abbatiale démolies. Tableau réalisé en 1915.

De nombreux témoignages subsistent de l’utilisation des tours de l’abbaye comme poste d’observation, dans le cadre d’opérations militaires naturellement, mais aussi de manière plus informelle : Gabriel Chevallier, dans son récit La Peur (1930), raconte ainsi, le 15 août 1915 :

Sur cette colline s’élevait un monument, une église, entamé par les obus et dont l’accès était interdit, comme dangereux. […] De là-haut, la vue portait au loin sur la plaine d’Artois, sans y rien découvrir de l’activité d’une bataille. Quelques flocons blancs, qui précédaient des détonations, nous informaient bien que c’était là qu’avait lieu la guerre, mais nous n’apercevions aucune trace des armées terrées qui s’observaient et se détruisaient lentement, dans cette campagne aride et silencieuse. […] Nous voyions bien les tranchées, mais comme de minuscules remblais, de minces et tortueux canaux, et il nous semblait incroyable que ce frêle lacis pût opposer une résistance sérieuse aux assauts, qu’on ne l’enjambât pas aisément pour pousser de l’avant .