Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Catastrophe de Courrières

Le 10 mars 1906, 1 099 mineurs de la compagnie des mines de Courrières meurent dans une inflammation de poussières de charbon qui ravage les fosses 2 (dite Auguste-Lavaurs à Billy-Montigny), 3 (dite Lavaleresse à Méricourt) et 4 (dite Sainte-Barbe à Sallaumines). La catastrophe tire donc son nom de celui de la compagnie et non de celui de la commune qui n’eut aucune perte à déplorer.

Les fosses les plus sûres du bassin

Couverture couleur montrant une foule manifestant en cortège.

Album de cartes postales "Courrières et les grèves de 1906". Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 1467.

Le bassin houiller du Pas-de-Calais, découvert en 1842, est devenu, à la fin du XIXe siècle, le principal producteur français de charbon avec près de 20 millions de tonnes de charbon extraites chaque année par plus de 70 000 mineurs. L’exploitation a été concédée à des sociétés minières dont celle de Courrières (du nom de la commune où elle creusa son premier puits), qui s’était constituée le 27 octobre 1852 et progressivement étendue sur douze communes.

La qualité du gisement y est excellente. Les 2,3 millions de tonnes extraites en 1905 placent la compagnie dans le peloton de tête des houillères, juste derrière Anzin et Lens. Ses fosses sont réputées parmi les plus sûres du bassin. On n’y a jamais détecté de grisou. La compagnie a même reçu, lors de l’exposition universelle de 1900, une des plus hautes distinctions pour la sécurité de ses installations. Dans ces conditions, personne ne s’est vraiment inquiété du feu qui s’est déclaré dans la nuit du 7 mars, au fond de la fosse 3, dans la veine Sainte-Cécile. Sept barrages étanches doivent suffire à étouffer l’incendie en le privant d’air. Le 10 mars, vers 6 h 45 du matin, 1 700 mineurs sont au fond.

À qui la faute ?

Les causes et le déroulement de la catastrophe sont mal connus. Ils ont été reconstitués a posteriori par trois inspecteurs généraux des mines chargés de rédiger plusieurs rapports [ note 1] visant à déterminer les responsabilités. En effet, seuls les hommes travaillant dans des quartiers pas ou peu touchés par les effets de l’explosion ont pu remonter et la violence de celle-ci a rendu difficilement exploitable les maigres éléments encore en place.

Carte postale noir et blanc montrant deux hommes portant un scaphandre.

"Catastrophe des mines de Courrières. - Sauveteur en tenue de descente". Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 250/43.

Il semble toutefois que l’incendie de Sainte-Cécile n’y soit réellement pour rien et que l’explosion soit partie au nord de la fosse 3, dans la voie Lecoeuvre. Dans cette galerie, l’abattage était facilité par une haveuse qui produisait une importante quantité de poussières de charbon. Les experts ne tranchèrent pas quant à l’origine de leur inflammation, mais penchèrent pour l’explosion inopinée de cartouches d’explosifs amorcées, consécutive à un choc. Partie du puits 3, l’explosion se propagea par une grande galerie d’exploitation et de roulage, dite Joséphine, aux puits 2 et 4, brûlant les hommes sur son passage. Les mineurs qui se trouvaient dans les galeries inférieures et supérieures succombent très rapidement aux émanations de gaz.

Mise en place des secours

À l’air libre, la catastrophe se manifeste par l’éjection des cages hors du puits, la destruction des échelles et des systèmes d’aérage. La descente est impossible en raison de l’arrivée d’une épaisse fumée noire et de gaz irrespirables. Plusieurs survivants remontent par le puits 10 mais très rapidement, les ingénieurs de la compagnie pressentent l’ampleur de la catastrophe.

En fin de matinée, les ingénieurs et les médecins des compagnies voisines sont là ainsi que le procureur de la République, l’évêque, le commandant de la gendarmerie, le colonel du génie…la troupe et les journalistes. L’organisation du sauvetage qui dure jusqu’au 8 avril est confiée à l’ingénieur en chef des mines Léon. Il s’agit avant tout de rétablir le système d’aérage. Les mineurs ne sont pas associés aux choix techniques et la polémique naît : le système d’aérage a été inversé dans la nuit du 12 mars afin de faciliter la progression des sauveteurs, au risque d’asphyxier les survivants. La crainte récurrente d’un noyage hâtif des galeries alimente les plus folles rumeurs. L’arrivée de sauveteurs westphaliens, équipés d’appareils respiratoires perfectionnés, est en revanche unanimement saluée.

Conséquences sociales

C’est dans ce contexte tendu qu’ont lieu, le 13 mars, les premières inhumations en présence du ministre de l’intérieur. À Billy-Montigny comme à Méricourt, les discours des représentants de la compagnie sont couverts par les invectives. Le soir même, les premiers mineurs cessent le travail à Courrières. Le mouvement fait tâche d’huile et touche toutes les compagnies à l’exception de celle de Bruay. Les revendications principales sont l’augmentation des salaires, le respect de la journée de huit heures et l’amélioration des conditions de sécurité. La venue de Georges Clemenceau, ministre de l’intérieur, est un échec. La situation se durcit. Clemenceau envoie la troupe, ce qui excite un peu plus les mineurs.

Emmenés par Benoît Broutchoux, leader du "jeune syndicat" (par opposition à celui d’Émile Basly, plus mesuré), ils assiègent la mairie de Lens. Le 14 avril, un premier rapport disculpe les ingénieurs de toute faute dans la conduite du sauvetage. L’émeute éclate alors le 18 avril à Liévin et à Lens. Il y a maintenant plus de 25 000 hommes de troupe dans le bassin, face à 70 000 grévistes. L’opinion publique nationale, d’abord émue par les victimes, se désolidarise du mouvement. En arrière-plan, Clemenceau s’entremet pour concilier les parties. Une augmentation des salaires permet la reprise progressive du travail début mai.

Les "rescapés"

On ne saurait oublier les "escapés" ou "rescapés" [ note 2] de Courrières. Le 30 mars, treize hommes se présentent à l’accrochage au puits 2. Le même scénario se renouvelle le 4 avril au puits 4, mais avec un seul survivant, cette fois-ci. Devenus des héros, ils reçoivent la médaille d’or du courage et deux sont fait chevaliers de la Légion d’honneur. Ces miraculés ne peuvent toutefois faire oublier les besoins des centaines d’ouvriers intoxiqués payés à demi-salaire pendant leur convalescence, des invalides, des veuves et orphelins auxquels répond, pour partie seulement, un Comité central de secours, créé le 14 mars. La compassion provoquée par la catastrophe en France, mais aussi en Europe et dans les colonies, permet de réunir près de 7,5 millions de francs.

Carte postale noir et blanc montrant une foule rassemblée autour d'une fosse. Au premier rang, un prêtre.

"La catastrophe des mines de Courrières. Vers le cimetière sous l'ouragan de neige". Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 250/9.

Le 11 juillet 1906, le tribunal de première d’instance de Béthune conclut à l’absence de faute dans l’organisation des secours et celui d’Arras prononce le 5 mai 1907 un jugement de non-lieu quant à la responsabilité pénale de la compagnie.

Entre amertume et progrès

L’amertume est grande dans le bassin minier. Cependant, la catastrophe de Courrières permet de faire d’énormes progrès à la sécurité. Elle est à l’origine de la prise de conscience du danger présenté par les poussières combustibles. Le Comité central des houillères de France inaugure à Liévin, à la fin de l’année 1907, un centre d’expérimentation où sont étudiés les principaux facteurs d’influence (nature des charbons, concentration et granulométrie des poussières) ainsi que les moyens de prévention (humidification, schistification et édification d’arrêts-barrages). Un poste central de secours est également installé dans la même ville.

Malgré l’avancée de la recherche minière, d’autres drames dus à des poussières viendront encore endeuiller le département : Courrières, 16 morts (1948), et Liévin, 52 morts (1957 et 1974).

Notes

[note 1] Heurteau (Ch.-E.), "La catastrophe de Courrières (10 mars 1906)", Annales des mines, 10ième série, t. XII, 2ième semestre 1907, p. 317-492, pl. II-V. Les deux autres rapports ont été publiés dans le Journal officiel des 11 août 1906 et 1er août 1907.

[note 2] Ce terme picard, popularisé par les articles de presse relatant la catastrophe, est passé dans la langue française qui préférait celui d’ "échappé".

Bibliographie

  • Courrières 1906 : du drame à la colère, Aux sources de l’Histoire du Pas-de-Calais ; Cahier du service éducatif numéro 1. Par Gérard Bendahmane et Jean-Michel Decelle, 2006. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 3261/1 
  • La catastrophe de Courrières du 10 mars 1906, Association nationale de gestion des retraités de Charbonnage de France, 1996, 2 volumes. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 2773 
  • D. LAMPIN, La catastrophe de Courrières. Les grèves de Lens et Liévin, Alan Sutton, 2005, 128 p. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7102 
  • H. LUXARDO, C.-C. RAGACHE, J. SANDRIN, Courrières 1906. Crime ou catastrophe ? Editions Floréal, 1979, 159 p. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 1535 
  • B. VOUTERS, Courrières, 10 mars 1906. La terrible catastrophe, coll. "Les Patrimoines", La Voix du Nord, 2006, 51 p.