Le 10 mars 1906, 1 099 mineurs de la compagnie des mines de Courrières meurent dans une inflammation de poussières de charbon qui ravage les fosses 2 (dite Auguste-Lavaurs à Billy-Montigny), 3 (dite Lavaleresse à Méricourt) et 4 (dite Sainte-Barbe à Sallaumines). La catastrophe tire donc son nom de celui de la compagnie et non de celui de la commune qui n'eut aucune perte à déplorer.
Ce drame constitue la seconde plus grande catastrophe minière de tous les temps après celle qui a eu lieu en Chine en 1942.
Dans une série en trois épisodes, nous nous replongeons dans cette tragédie, sur ses causes mais aussi les conséquences qu'elle engendra au niveau national. Ce premier épisode, intitulé le Drame, revient sur les circonstances de la catastrophe.
En bas de page, retrouvez quelques cartes postales illustrant l'épisode.
Courrières 1906, du drame à la colère. Épisode 1 : le Drame
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[Narratrices]
Le bassin houiller du Pas-de-Calais, découvert en 1842, est devenu, à la fin du XIXe siècle, le principal producteur français de charbon avec près de 20 millions de tonnes extraites chaque année par plus de 70 000 mineurs. L’exploitation a été concédée à des sociétés minières dont celle de Courrières (du nom de la commune où elle creusa son premier puits). La qualité du gisement y est excellente. En mars 1906, douze puits, baptisés de prénoms de femmes : Joséphine, Cécile, Julie, Mathilde, sont exploités. Les 2,3 millions de tonnes extraites en 1905 placent la compagnie dans le peloton de tête des houillères, juste derrière Anzin et Lens.
La compagnie est des plus réactionnaires, ses propriétaires sont hostiles à la IIIe République. La compagnie essaie de contrôler la main d’œuvre en matière religieuse et sociale, elle fait pression sur les ouvriers à l’embauche ou pour l’attribution de logements. C’est la concession où l’on trouve le plus de syndicalistes révolutionnaires.
Ses fosses sont toutefois réputées parmi les plus sûres du bassin. On n’y a jamais détecté de grisou. La compagnie a même reçu, lors de l’exposition universelle de 1900, une des plus hautes distinctions pour la sécurité de ses installations. Depuis 1905, un arrêté a rendu obligatoire les lampes de sûreté, mais il n’est pas appliqué ici. Dans ces conditions, personne ne s’est vraiment inquiété du feu qui s’est déclaré dans la nuit du 7 mars, au fond de la fosse 3, dans la veine Cécile. Sept barrages étanches doivent suffire à étouffer l’incendie en le privant d’air. Le 10 mars, 1 664 mineurs descendent au fond, comme tous les jours, vers 6h du matin.
A 6h45, 125 hommes sont remontés par ordre de l’ingénieur Barrault qui craint l’incendie de Cécile. Soudain la cage montante est soulevée par une forte poussée, une épaisse fumée noire apparaît. La cage descendante est bloquée au fond, le courant d’aérage est rompu. Au puits 4, des ouvriers entendent comme un coup de canon, des gaz irrespirables en sortent, les toitures de bâtiments proches son soufflées, les cages et un cheval sont projetés en l’air à plus de 10 m de haut. Un gigantesque "coup de poussier" vient d’avoir lieu : les fines particules de poussières de carbone présentes dans l’air s’enflamment. L’incendie se propage à la vitesse du son sur 110 kilomètres de galeries en quelques minutes.
L’alarme est donnée. Quelques ouvriers parviennent à remonter, il est 7 h 30. Le puits 2 devient à son tour impraticable, les voies d’accès inabordables et des centaines de mineurs sont bloqués sous terre. Des survivants parviennent à remonter par les échelles.
Nous allons vous partager ici le témoignage de François Colomer, un élève de l'École des maîtres mineurs, qui se trouvait dans la mine au moment de la catastrophe. Le 13 mars 1906, après avoir miraculeusement survécu, il raconte le cauchemar qu’il a traversé avec ses camarades au fond des enfers.
[Voix d'acteurs]
- En stage à la fosse 3 des mines de Courrières j’ai l'honneur de vous faire parvenir une relation aussi exacte que possible de mes pérégrinations dans la journée du 10 mars après l'explosion qui s'est produite à la fosse n° 3 des mines de Courrières.
Je suis descendu à six heures du matin et à sept heures j'arrivais au lieu où je devais passer ma journée, je crois que c'était à l'étage 303 de la veine Sainte-Barbe. J'avais à peine enlevé ma chemise qu'un terrible craquement se fit entendre. Le courant d'air qui d'abord se dirigeait vers les fronts prit une direction contraire et avec une telle vitesse éteignit nos lampes et entraîna toutes les poussières sur son passage. Comme on déboise sans remblayage au fur et à mesure que l'abattage du charbon s'avance, je crus d'abord à un affaissement du toit refoulant l'air contenu dans le vide produit par le déhouillement.
Je me rendis de suite du côté d'où était venu le bruit.
- Qu’est-ce qui s’est passé ?
- J’sais pas.
- Le toit n’est pas éboulé.
- Ça doit pas être bien grave
- Je revins tranquillement retrouver mon camarade. Trois ou quatre minutes après, un deuxième craquement se fit entendre moins fort que le premier, mais qui dérangea lui aussi le courant d'air. Cette fois je crus à un accident car on commençait à sentir une odeur à peu près analogue à celle de la dynamite après un coup de mine. Je ne suis plus allé vers les fronts voir ce qui se passait. Instinctivement j'ai crié:
- Il faut se sauver.
- Il faut s’sauver ! vite !
- Dégageons d’là !
- Je descendis ensuite le treuil et me rendis à la tête du beurtiat de Sainte-Barbe pour voir si on pouvait passer. Il était inondé par le gaz et déjà un homme gisait sur le sol, mort asphyxié. Je n'ai pas songé à descendre les échelles, j'ai remonté le treuil très vite car mes oreilles commençaient à siffler et le gaz me suivait derrière comme un brouillard épais. Arrivé au haut du treuil je rencontrai tous les raucheurs, les raccommodeurs et quelques ouvriers qui étaient revenus des fronts.
- On ne peut pas passer par là. Si on ne trouve pas une sortie ou on va tous mourir ici !
- Quelques jours avant j'avais fait une tournée avec le porion Carpriaux et je me suis souvenu qu'il avait dit que par la voie Julie on pouvait aller à la fosse n° 10.
Je proposai alors à mes camarades de suivre le recoupage montant qui fait communiquer la voie de fond de Julie qui sert de retour d’air.
Dans leur affolement quelques-uns ne voulurent pas m’écouter et allèrent périr à la tête de beurtiat de Sainte-Barbe ; les autres au nombre d’une quinzaine environ me suivirent. Il était temps de se dépêcher, les chevaux étaient déjà étendus morts sur le sol. Je montais donc le recoupage au plus vite et suivis la voie de fond de Julie. Je me retournais de temps en temps pour encourager les pauvres vieux mais ce fut en vain, presque tous s'affaissèrent et tombèrent les uns sur les autres asphyxiés par le gaz irrespirable.
Nous étions trois qui tenions bon. Pendant ce temps les gaz asphyxiants avaient occupé toutes les galeries. Bientôt je sentis mes forces défaillir, mes oreilles bourdonner. Je croyais voir en avant de moi comme l’effet d'un mirage. Ma tête butait à tous les bois, mon corps se portait à droite et à gauche, au lieu d'avancer je reculais; j’étais pour ainsi dire soûlé par le gaz. N'en pouvant plus je m'allongeai sur le sol la tête entre mes bras. Je dis à mes camarades :
Allongez-vous par terre et couvrez-vous la tête !
Nous restâmes ainsi en attendant la mort ou le bon air. Je ne ressentis aucune souffrance. Je ne pourrais pas dire le temps qui sépare le moment où je me couchai de celui où je me sentis revenir à la vie. Ce que je sais c'est que lorsque le bon air m'arriva je souffrais énormément. Je rêvais des choses impossibles, j'arrachais la terre avec mes ongles et je grelottais de froid car mes vêtements étaient tout mouillés quoi qu'il fasse très sec à l'endroit où je me trouvais. J'ai essayé de me relever, mais je suis retombé aussitôt car tout semblait tourner autour de moi. J'ai pensé alors à mes camarades, et je leur demandais :
- Vous êtes vivants les gars ? Y a quelqu’un ? Répondez-moi ?
- Oui j’suis vivant.
- Moi aussi.
- Vous avez des allumettes ?
- Nan !
- Vous savez comment on va au puit n°10 ?
- Nan, j’sais pas
- Mi non pu !
- Ayant acquis un peu plus de force, je résolus de revenir en arrière et de suivre le chemin par lequel j'étais venu, c'est celui-là que je connaissais le mieux et puis je tenais beaucoup à savoir d'où venait le bon air.
Je constatais que la plus grande partie venait par les remblais. Plus j’avançais du côté du recoupage et plus l’odeur du gaz se faisait sentir Je marchais en me guidant avec les rails. J'agitais les morts que je trouvais sur mon passage, j’appelais, jamais de réponse. Ils étaient froids. Voyant que de ce côté il n’y avait pas moyen de se sauver, je repartis à l'endroit où j'étais tout d’abord; mes deux camarades survivants me suivaient toujours aux talons. Au bout d'un certain temps je tentais un deuxième essai. Ce fut en vain. L'odeur du gaz se faisait sentir de plus en plus fort.
Fatigué, n'en pouvant plus, je résolus de rester là, en attendant du secours. À neuf heures, je vis apparaître une lampe portée par un ouvrier, c'étaient nos sauveurs qui arrivaient. On nous fit prendre de l'éther pour nous ranimer complètement et nous nous mimes en marche vers le n° 10. À onze heures nous arrivions au jour par le n° 10.
À minuit et demi je rentrai à ma pension et me couchai immédiatement non sans m'être inquiété de mon camarade Régérat qui logeait avec moi et était descendu le matin à la fosse n° 4. Après avoir pris un peu de repos, je me dirigeai vers le n° 4 pour acquérir la conviction que mon malheureux camarade était enseveli au fond.
[Narratrices]
- L’écho de la catastrophe est immédiat. Le grondement des explosions et la fumée noire ont attirés les habitants des corons sur les lieux. 90 % des mineurs habitent à moins de 5 kilomètres. Les grilles sont fermées pour contenir la foule.
Dans ses mémoires publiées en 1970 sous le titre Fils du peuple, Maurice Thorez, qui n’est qu’un enfant en 1906, se souvient :
[Voix d'acteurs]
- Je jouais avec d'autres gosses du coron lorsque notre attention fut attirée par un grondement sourd, un piétinement lointain, le fracas des sabots sur les pavés. Les gens se précipitaient dans une même direction : je fis comme eux. C'était amusant de galoper, de dépasser les vieux qui soufflaient, les femmes qui portaient leur dernier né sur le bras. On criait :
- C'est à Courrières ! A l’fosse de Méricourt ! Y a des centaines de victimes !
- Ainsi le 10 mars 1906, je galopais dans la brume glacée et je parcourus aussi vite que me le permettaient mes petites jambes, les 7 kilomètres qui séparaient Noyelles-Godault des corons de Méricourt, sur la route de Lens. Des villages environnants, mineurs quittant leur travail, femmes et enfants se bousculant, s'interpellant, brassés, mélangés, emportés, ressemblaient à quelque armée en déroute sur qui s'allongeait l'ombre de la mort.
A Méricourt, je ne vis d'abord rien. Le flot humain venait s'écraser contre une haute grille de fer, coupant un long mur de briques. Derrière la grille s'agitaient des hommes noirs, affairés, la tête encapuchonnée, enfoncée dans des appareils étranges. Au loin dans le brouillard se profilait le chevalet du puits, aux molettes immobiles. Sur ce paysage lugubre flottait une odeur de suie mouillée, de brûlé, de fumée. Bientôt des lamentations, des imprécations s'élevèrent
Des femmes hurlaient, échevelées, il y eut des remous. On parlait d'enfoncer la grille. Des gendarmes à cheval surgirent et poussèrent leurs bêtes contre la foule. Mais celle-ci, toujours plus dense, ne cédait pas un pouce de terrain.
Des cris aigus fusaient de tous côtés.
- Dites nous la vérité !... Dites nous ce qu'il y a !...
- Laissez nous voir !... Laissez nous entrer !...
- M’homme est au fond...
- Mes p’tiots sont au fond...
- Les miens aussi...
- Qu’on nous donne des culottes et des barettes, on va aller quaire nos hommes !
- Je me souviens qu'ensuite, avec d'autres gosses, nous sommes revenus au village, accablés et harassés, et que nous sommes restés longtemps sans jouer et sans nous disputer.
Les jours suivants, je suis retourné à Méricourt. Il y avait beaucoup de gendarmes, tout le monde était vêtu de noir. Sur le seuil des maisons, le long du coron, les gens pleuraient, des enfants se serraient autour de leurs mères. Dans les villages des environs, à Sallaumines, à Billy-Montigny, c'était le même spectacle. Partout, on transformait des hangars en chapelles ardentes. Les gens parlaient avec reconnaissance des équipes de sauveteurs venus de Westphalie.
Puis ce furent, sous la neige, les convois désolés, les obsèques des malheureuses victimes.
[Narratrices]
- A 11h, l’ingénieur en chef des mines Léon, est chargé d’organiser le sauvetage. En fin de journée, l’espoir de retrouver des survivants s’amenuise. Le délégué mineur anarchiste, Pierre Simon, dit « Ricq », descend en dépit de l’interdiction des responsables, il sauve 17 hommes. On fait appel à des sauveteurs professionnels : mineurs belges, 10 sapeurs-pompiers de Paris, et 25 sauveteurs allemands équipés d’appareils respiratoires. Au total, 550 survivants sont remontés le premier jour.
- La presse nationale s’empare de la tragédie. Le Petit journal illustré envoie des journalistes sur place. Extraits de l’édition du 25 mars 1906 :
[Voix d'acteurs]
- L’épouvantable tragédie qui vient de se dérouler dans la grande concession minière du Pas-de-Calais a fait battre de douleur et d’épouvante le cœur de la France entière.
Ce sont là les circonstances dans lesquelles se sont affirmés le courage, l’héroïsme, l’esprit de dévouement et de solidarité des sauveteurs, humbles ouvriers pour la plupart, qui d’un commun accord ont donné le plus admirable exemple. A la nouvelle du sinistre ils sont arrivés de tous les points du pays désolé. Tous ces hommes sont descendus vers la mine meurtrière en quête de cadavres. Tant de dévouement prodigué fut malheureusement infructueux. Tous ceux qui ne purent être sauvés dès les premières heures restèrent enfouis dans les galeries, asphyxiés par les gaz délétères ou carbonisés par le feu.
Quelles affres subirent ces malheureux !
A peine remonté au jour, François Cerf, sauvé miraculeusement de la mort, demeura sur le carreau refusant de retourner au coron
- Qu’attendez-vous donc, mon ami ?
- J’attends le cadavre de mon petit. Pauvre p'tiot, il est resté au fond. Te te rends compte ti ?Il avait quinze ans.
[Narratrices]
- La catastrophe de Courrières a fait 1 099 victimes directes, sans compter 16 sauveteurs décédés par la suite, 696 blessés dont beaucoup d’invalides, 562 veuves, 1 133 orphelins. Quatre communes minières furent touchées : Sallaumines, Méricourt, Billy-Montigny et Noyelles-sous-Lens.
- Retrouvez les documents relatifs à cette affaire sur le site internet des archives du Pas-de-Calais.
Cet épisode est le premier d’une trilogie consacrée à la catastrophe de Courrières. Il a été écrit, interprété et réalisé par les Archives départementales du Pas-de-Calais. Dans le prochain épisode, vous découvrirez le témoignage poignant des rescapés et l’émotion qui a gagné la France au lendemain de la catastrophe.
Nous remercions Un beau joueur et Loïck pour le générique original, ainsi que les agents des archives du Pas-de-Calais pour leur participation.
Crédits
Cet épisode a été écrit, interprété et réalisé par les archives départementales du Pas-de-Calais.
Nous remercions Un beau joueur et Loïck pour le générique original, notre stagiaire Éric Rodrigues (voix du journaliste) ainsi que les agents des archives du Pas-de-Calais (voix, montage et réalisation).
Sources
La Catastrophe des mines de Courrières. Récits et témoignages. L'Œil d'or, mémoires et miroirs, 2006.
Maurice THOREZ, Fils du peuple, Éditions sociales internationales, 1937. Une version rééditée en 1970 est disponible ici : https://www.google.fr/books/edition/Fils_du_peuple/p-nQDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=0
Le Petit journal illustré du 25 mars 1906 : disponible sur Gallica