La baisse de la production agricole est l’une des préoccupations majeures des autorités. Sans ressources suffisantes, il est impossible d’entretenir l’armée, et donc de gagner la guerre. C’est pourquoi le gouvernement intensifie la législation visant à faciliter les récoltes et à augmenter le rendement, comme avec la création, par exemple, des comités agricoles.
Les raisons de la baisse de la production
Plusieurs raisons expliquent cette diminution, à commencer par la pénurie de main-d’œuvre. Le manque d’ouvriers agricoles empêche l’exploitation optimale des terres, ce qui a pour conséquence une raréfaction des denrées et une flambée des prix. Le gouvernement tente de compenser par des mesures palliatives, comme la circulaire du 12 janvier 1917 qui met à disposition les classes 1888 et 1889.
Les réquisitions contribuent aussi à réduire fortement le rendement. Les besoins des armées sont grands, notamment en termes de chevaux, fourrage ou terrains. Certains champs servent aux cantonnements des troupes et à leur entraînement. D’autres sont transformés en pistes d’aviation ou en camps de prisonniers. À Hubersent, trois hectares ont ainsi été réquisitionnés pour servir de champs de tir et de manœuvres.
Ces installations amputent de manière non négligeable les surfaces cultivables en zone libre. De plus, après le départ des troupes, il faut encore démonter les installations, combler les tranchées et remettre en état les terres.
Enfin, les zones de combats et celles occupées par l’ennemi réduisent encore davantage la superficie des terres agricoles.
Toutes ces raisons expliquent les mauvais chiffres des récoltes : en 1913, la production de blé du Pas-de-Calais s’élève à 13,3 quintaux par hectare ; en 1917, elle atteint péniblement les 8,7 quintaux par hectare. Pour tenter de maintenir un niveau acceptable, toutes les terres cultivables doivent être exploitées.
Les comités agricoles
Afin d’œuvrer en ce sens, les décrets des 2 et 9 février 1916 créent les comités communaux d’action agricole, assistés dans leurs démarches auprès des autorités militaires et civiles par des comités cantonaux d’organisation agricole. Leur but est d’ organiser, de façon générale, le travail agricole et d’assurer la culture de toutes les terres
. Présidés par les maires, les comités communaux sont composés de cinq à neuf personnes, hommes ou femmes, nommés par le conseil municipal auquel ont été adjoints trois représentants du monde agricole (membres d’associations agricoles ou notables).
Concrètement, les comités repèrent les champs en friche, les réattribuent et assistent les exploitants dans les démarches facilitant la remise en culture (fourniture de matériel agricole, d’animaux de trait, etc.).
De manière officieuse, ils surveillent également les déclarations des agriculteurs dans le cadre des réquisitions. À partir de 1917, ceux-ci sont invités à déclarer en mairie les surfaces plantées ou ensemencées, information transmise à l’officier contrôleur des stocks en céréales.
Mesures législatives pour la reprise des cultures
Afin d’obtenir une évaluation globale du département, le préfet envoie le 20 mars 1916 une circulaire aux sous-préfets, leur demandant un état des lieux sur la situation agricole de leurs arrondissements. Cette mesure intervient avant le vote d’une loi sur la mise en culture des terres abandonnées et l’organisation du travail agricole pendant la guerre. Datée du 6 octobre 1916, elle donne aux maires le pouvoir de réquisitionner les terrains laissés en friche pour les octroyer à ceux qui souhaitent les cultiver.
Aux termes de l’article 2 de cette loi, les communes peuvent en outre obtenir des avances sur les fonds du Crédit agricole mutuel, par l’intermédiaire des caisses régionales, en vue de la remise en culture des terres abandonnées.
Dans le même ordre d’idées, le Pas-de-Calais reçoit en 1917 une subvention d’un million de francs, ce qui permet l’achat de machines agricoles que l’on distribue aux cultivateurs des régions libérées.
Pour faire suite à cette disposition législative, le préfet rédige le 6 janvier 1917 une note relative à la culture des terres abandonnées, dans laquelle il appelle à un recensement des terres cultivables ou impropres à cet usage. La situation se révèle globalement satisfaisante, seules quelques terres isolées font l’objet d’un signalement.
Les jardins potagers du Pas-de-Calais
Autre mesure lancée par le ministère de l’Agriculture, l’incitation faite aux civils et aux militaires de créer des jardins potagers. Le 11 mai 1916, une première circulaire encourage cette pratique. L’idée est encore plus développée l’année suivante.
Au début de 1917, Étienne Clémentel, ministre du Commerce, de l’Industrie, de l’Agriculture, du Travail, des Postes et des Télégraphes propose aux préfets d’organiser des conférences pour promouvoir ce type d’initiative. Dans un courrier du 1er mars, Léon Briens lui répond que cette opération est inutile dans son département, les jardins y étant historiquement bien implantés, en particulier dans le bassin minier. La culture maraîchère est effectivement très développée dans les campagnes et ce phénomène tend à gagner les agglomérations, notamment à Boulogne, Calais et Saint-Omer, où des sociétés incitent à créer des jardins potagers en périphérie des villes (la Ligue du coin de terre et du foyer à Boulogne, par exemple, ou encore la Société des jardins ouvriers pour Saint-Omer). En avril 1917, la municipalité de Boulogne a ainsi rendu disponibles près de 30 000 mètres de terres pour ensemencer.
Le préfet reconnaît cependant que ce processus est plus difficile à mettre en place dans la zone des armées. À partir du printemps 1916, des terres sont réquisitionnées aux abords des cantonnements, afin d’y créer des jardins militaires. C’est notamment le cas à Boulogne, Saint-Omer, Saint-Pol, Montreuil, Hesdin, Berck, Wimereux, etc. Des soldats volontaires s’occupent de leur entretien. Toutefois, l’adhésion n’est pas totale, et cette pratique ne connaît pas la même ampleur qu’à l’intérieur des terres.
Les terres abandonnées dans les lignes anglaise
On sait que des mesures ont été prises récemment par M. Clémentel, d’accord avec les autorités militaires, afin de mettre en culture toutes les terres abandonnées dans la zone des armées, en employant la main-d’œuvre militaire disponible.
Une entente vient d’intervenir qui étend cette mesure à la zone occupée par l’armée anglaise.
Les tommies vont donc, eux aussi, aider à la mise en valeur de la terre de France pour la défense de laquelle ils luttent avec tant de vaillance.
La Croix, jeudi 25 janvier 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PE 135/18.