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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

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La mutinerie du camp d’Étaples

En 1978, le député travailliste Eric Moorman demande au ministre de la Défense Fred Mulley de révéler la vérité sur la mutinerie de septembre 1917 au camp d’Étaples. Cette injonction fait suite à la publication de l’ouvrage de deux journalistes, William Allison et John Fairley, paru la même année sous le titre The monocled mutineer (le mutin au binocle). Pourtant, cet ouvrage n’est pas le premier à révéler l’affaire au grand jour puisque D. Gill et G. Dallas avaient publié l’article "Mutiny at Etaples" dans Past and Present en novembre 1975 (n° 69). 

Depuis, les avis divergent sur l’enchaînement des événements, certains historiens soutenant que l’ouvrage d’Allison et de Fairley est en réalité très éloigné des faits. Mais alors, que s’est-il réellement passé à Étaples entre le 9 et le 15 septembre 1917 ?

Contexte général de lassitude et conditions de vie difficiles

Plan d'un camp militaire.

Plan du camp d'Étaples en 1917. Fonds Achille Caron. Archives départementales du Pas-de-Calais, 88 J 30.

Le camp d’Étaples est sans conteste la plus grande base arrière du Royaume-Uni. Au plus fort de son activité, il peut accueillir mensuellement plus de 60 000 soldats qui y sont formés avant d’être envoyés au front.

Une discipline de fer règne dans le camp. Malgré cela, les soldats britanniques semblent eux aussi gagnés par le vent de lassitude qui touche les armées de tous les pays engagés dans le conflit. Côté français, l’échec de Nivelle au chemin des Dames a engendré des vagues de mutineries qui mettent plusieurs semaines à être enrayées. En Russie, la chute du tsar Nicolas II et la montée des idées bolcheviques provoquent une grave scission dans les régiments, comme en atteste la révolte du camp de La Courtine. On note d’autres faits similaires dans la marine allemande, mais aussi au sein de l’armée italienne.

À cet accablement général s’ajoutent les conditions de vie difficiles au camp d’Étaples. Le général Andrew Thompson, qui le dirige, dispose de peu de temps pour former de jeunes recrues, qui plus est ne sont pas volontaires mais enrôlées de force depuis la mise en place de la conscription en 1916.

Plusieurs témoignages rapportent que les jeunes soldats sont particulièrement malmenés par les instructeurs, surnommés canaris en raison de leur brassard jaune. Humiliés, insultés, ils subissent chaque jour des entraînements éprouvants jusqu’à épuisement de leurs forces physiques et mentales. De plus, les permissions en ville sont distribuées au compte-goutte. Dans ces conditions, certains affirment monter au front avec soulagement et d’autres choisissent de déserter et de se cacher dans les dunes et les forêts avoisinantes.

Si tous les observateurs s’accordent pour dire que l’ambiance générale et la pénibilité sont un terreau fertile pouvant expliquer la vague de colère et de rejet de ce début septembre 1917, plusieurs versions diffèrent quant à l’élément déclencheur de la révolte.

The monocled mutineer

Pour les journalistes Allison et Fairley, l’affaire commence le 9 septembre 1917 avec l’interpellation du caporal William Wood. Alors qu’il conversait avec une auxiliaire féminine sur la place d’Étaples, ce qui était interdit, il se fait apostropher par des membres de la Military Police.

Les choses dégénèrent et un des policiers tue le caporal Wood. La nouvelle se propage comme une traînée de poudre et les Écossais, bientôt rejoints par des Australiens et des Néo-Zélandais, soit près de 5 000 soldats, dévastent le poste de police en représailles et poursuivent les policiers dans les dunes et même jusqu’en ville.

Menés par Percy Toplis, le fameux mutin au binocle, les rebelles auraient pillé les cafés et jeté les officiers dans la Canche depuis le pont des Trois Arches. Ce n’est qu’au bout de cinq jours que des troupes venues en renfort auraient eu raison des sanglants agissements des soldats révoltés.

Photographie noir et blanc montrant des soldats s'affairant devant des tentes.

Scène de vie au camp d'Étaples. Photographie d'Achille Caron (1915-1918]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 88 J 30.

Dans leur ouvrage, Allison et Fairley donne la parole à certains témoins de la rébellion :    

Lucien Roussel, un jeune Étaplois : "Les troupes britanniques firent irruption dans la ville comme de vrais sauvages, dérobant et saccageant tout sur leur passage. Ils occupèrent la place des jours durant. Elle était noire de soldats. Il y eut de sanglants incidents sur la place, des coups de feu, des rixes, des véhicules en feu. Les mutins capturèrent un des officiers du camp, l’enfermèrent dans une cage en bois et le promenèrent dans tout Étaples à bord d’un camion découvert" [ note 1].

Une autre version de l’histoire

Pourtant, tous ne partagent pas cette vision des événements. En 1986, l’historien Julian Putkowski dément la thèse rapportée par les journalistes [ note 2]. Il réitère sa thèse dans un ouvrage publié avec Gill Douglas en 1998 [ note 3].

Photographie noir et blanc montrant un groupe de soldats britanniques devant des tentes, tenant des lettre à la main.

Soldats du camp d'Étaples. Photographie d'Achille Caron. Archives départementales du Pas-de-Calais, 88 J 30.

Selon lui, l’étincelle n’est pas l’interpellation de William Wood, mais l’arrestation d’un artilleur néo-zélandais, A.J. Healy, pour avoir dépassé la durée de sa permission en ville. Il est retenu un temps au poste de police qui gardait le pont des Trois Arches, un des deux accès menant à Étaples, avant d’être relâché.

Néanmoins, l’incident cause une vague d’indignation dans les rangs néo-zélandais. La rumeur grossit et, quelques heures plus tard, près de 2 000 soldats se rassemblent devant le bâtiment. Le policier Harry Reeve tire alors un coup de revolver en l’air pour calmer les esprits, mais la balle atteint mortellement le caporal Wood.

Les policiers s’enfuient vers la ville, poursuivis par les soldats furieux. Mais après quelques altercations, l’ordre semble rapidement rétabli, puisque les soldats dispersés rentrent au camp.

Le lendemain, la journée d’entraînement se déroule comme à l’accoutumée. Ce n’est qu’à la sortie du "Bullring", le camp d’entraînement, que de nouveaux attroupements se produisent autour des ponts qui permettent l’accès au camp. Quelques policiers sont rudoyés et les soldats forcent le passage. Le même scénario se reproduit le 11 septembre.

Le 12, les troupes sont plus sévèrement reprises et sont consignées. Une certaine agitation parcourt le camp, si bien que les accès au pont sont ouverts pour éviter tout débordement. Après une promenade en ville, les soldats rentrent au camp.

Le 13 septembre, l’état-major britannique envoie des renforts pour mettre fin à une situation qu’il juge intolérable. 360 hommes dont 35 policiers extérieurs, auxquels s‘ajoutent 2 300 soldats, bloquent fermement les accès. Le 14 septembre, le calme est définitivement revenu, assorti d’une soixantaine d’arrestations.

Conclusion

Au terme de six journées d’agitation plus ou moins grande, la "mutinerie" d’Étaples est enrayée. Ce terme de mutinerie paraît même quelque peu exagéré car, globalement, les hommes ne refusaient pas les ordres de leur hiérarchie, mais souhaitaient davantage de liberté et de loisir.

Photographie noir et blanc. Au premier plan, une voie ferrée traversée par un pont. Derrière le pont, un camp de tentes.

Le pont des Trois arches. Photographie d'Achille Caron [1915-1918]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 88 J 30.

Néanmoins, pour l’armée anglaise, l’événement n’est pas anodin et doit être sévèrement réprimé. C’est pourquoi 54 soldats sont arrêtés et traduits devant une cour martiale sous divers chefs d’inculpation (ivresse, désobéissance, etc.). La cour en condamne trente-trois à de courtes peines de détention (de 7 à 90 jours). Dix autres doivent purger une année complète en prison. Sept sont rétrogradés. Enfin, quatre soldats sont ouvertement accusés de mutinerie : trois écopent de dix années d’emprisonnement, et le dernier, le caporal Jesse Short, bouc émissaire désigné pour faire un exemple, est condamné à mort et fusillé le 4 octobre 1917 à Boulogne-sur-Mer.

Quant au "mutin au monocle", Percy Toplis, Putkowsky affirme que son rôle de meneur, très romanesque, a été inventé de toute pièce. Selon lui, le régiment de Toplis est certes passé par Étaples peu de temps auparavant, mais ne se trouvait plus dans le camp en ce début septembre 1917.  

Notes

[ note 1] William Allison, John Fairley, The monocled mutineer, Quartet Books, London, 1978, p. 99. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 3504.

[ note 2] Julian Putkowsky, "Toplis, Étaples and the Monocled Mutineer", Stand to ! The journal of the western front association, n° 18, 1986, pp. 6-11. Archives départementales du Pas-de-Calais, 88 J 95.

[ note 3] Gill Douglas, Julian Putkowsky, Le camp britannique d'Étaples 1914-1918, éditions du Musée Quentovic, 1998, 80 p. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 5810/3.