Le 7 février 1915 est instaurée la "Journée du 75" par le Touring Club de France. Cette association est à l’origine de "L’Œuvre du soldat au front", qui a pour but de faire parvenir à nos combattants, par centaines de milliers, des objets destinés à améliorer leur hygiène et leur bien-être
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La Journée du 75
[…] Le dimanche 7 février 1915, par une matinée pluvieuse, des essaims de jeunes filles se répandirent dans toute la France, portant suspendue au cou la corbeille garnie d’insignes et tenant à la main le tronc au ferraillement joyeux et régulier, où le tintement des pièces blanches et des gros sous se confondait dans un ensemble tout démocratique. Il y avait des insignes de plusieurs sortes, de luxueuses médailles en métal et des rectangles de carton qui auraient paru humbles s’ils n’avaient été la figure des drapeaux. Au reste, beaucoup de promeneurs y allaient de leur grosse pièce, pour avoir droit de s’offrir toute la collection.
Nul n’aurait osé continuer sa course avec une boutonnière indécorée et l’on achetait un nouvel insigne.
Aussi le résultat dépassa-t-il toutes les prévisions : il y eut 22 millions d’insignes vendus pour une somme qui atteignit près de 5 millions et demi de francs. L’apothéose du 75 a donné un peu de bien-être à nos soldats. Elle a aussi été un grand souffle d’union fraternelle entre tous les Français.
Une merveille du génie français : notre 75, par un artilleur, Paris, librairie Aristide Quillet, 1915.
En effet, le succès est tel que l’opération est réitérée le 14 février, puis prolongée jusqu’au 10 juin 1915, date à laquelle on compte 5 266 182 francs de recettes !
Les organisateurs de cette journée de solidarité (la deuxième après la Journée du petit drapeau belge, le 20 décembre 1914) ont pu compter sur l’implication d’associations philanthropiques, telles que les Éclaireurs de France ou l’Union des femmes de France. En tout, on recense environ 50 000 quêteurs et quêteuses répartis sur tout le territoire.
Le thème de cette journée n’est pas choisi au hasard. Le 75, pièce maîtresse de l’artillerie française, est loué pour sa vitesse, sa précision et sa force de tir. Autant de qualités qui font la différence sur les champs de bataille et le rendent populaire, au point qu’il devient un emblème de l’armée française.
Des réticences des villes déjà sollicitées
Pourtant, l’engouement n’est pas général puisque certaines villes estiment déjà faire beaucoup pour l’effort de guerre. Lors de la Journée du petit drapeau belge, le maire de Calais avait ainsi manifesté sa réticence au sous-préfet de Boulogne-sur-Mer :
Permettez-moi de vous faire remarquer que la ville de Calais se trouve vis-à-vis des réfugiés belges dans une situation absolument spéciale. Depuis plus d’un mois cent mille réfugiés belges sont passés par Calais. La population de notre ville s’est saignée aux quatre veines pour venir en aide à ces malheureux, les abriter, les nourrir, les aider de toutes les façons, et les quelques billets de mille francs que vous avez bien voulu nous faire remettre pour nous aider dans cette œuvre ne représentent qu’une faible partie de l’argent dépensé à Calais. […]
Dans ces conditions, et en raison surtout de ce que l’initiative privée a pu réaliser à Calais, je suis convaincu que la vente des petits drapeaux en faveur du Comité franco-belge serait considéré par mes concitoyens comme tout à fait inopportun.
Deux mois plus tard, c’est au tour du sous-préfet de Boulogne d’interpeller le préfet, comme en atteste le document reproduit ci-contre :
Les renseignements que j’ai recueillis récemment à l’occasion de la vente du petit drapeau belge ont établi que dans cette région du département, il n’était pas possible de demander aux populations qui ont consenti des sacrifices considérables pour secourir les réfugiés dont l’affluence a été si grande, d’en consentir de nouveaux.
Ces raisons subsistent, et malgré tout le patriotisme des habitants de l’arrondissement de Boulogne, il serait à craindre de voir échouer la manifestation projetée par le Touring Club.
Multiplication des journées de solidarité
Malgré tout, le succès rencontré ailleurs va entraîner la multiplication de ces journées thématiques, notamment en 1915 et 1916. Outre les retombées économiques qu’elles génèrent, celles-ci permettent de fédérer la population et de soutenir moralement les troupes en première ligne.
Suivront les :
- Journée française du "Secours National" (23-24 mai 1915),
- Journée des orphelins (20 juin 1915),
- Journée française (14 juillet 1915) organisée par le Royaume-Uni,
- Journée des éprouvés de la guerre (26 septembre 1915),
- Journées du poilu (25-26 décembre 1915),
- Journée serbe (25 juin 1916),
- Journée du Pas-de-Calais (13 et 15 août 1916),
- Journée des tuberculeux (4 février 1917),
- Journée de l’armée d’Afrique et des troupes coloniales (9-10 juin 1917),
- Journées du devoir social (27 et 28 mai 1918).
Villes et départements ne sont pas en reste et créent aussi leur "journée" : la Journée du Pas-de-Calais voit ainsi le jour en août 1916.
La fin de ces quêtes nationales ne coïncide pas avec la fin de la guerre, puisque le concept va être réutilisé pour financer une partie de la reconstruction et relancer la natalité : la Journée des régions libérées est instituée le 14 juillet 1919 et la Journée des mères de familles nombreuses le 9 mai 1920. Cette dernière est toujours fêtée cent ans après, mais sous un nom raccourci : on l’appelle aujourd’hui la fête des mères !