Alors que la presse favorable au président de la République s’attache particulièrement à publier des photographies illustrant l’accueil populaire et cordial qui lui est fait, celle d’opposition publie des textes dans lesquels elle expose ses griefs et ses revendications. Plus légèrement, dans cet article du périodique communiste Liberté, le journaliste s’amuse des consignes données par la municipalité de Lens sur le passage du cortège et va jusqu’à suggérer par un subtil procédé les slogans à inscrire sur les banderoles.
Transcription du document
À l’occasion de la visite à Lens du général de Gaulle
Ce qui est subversif et séditieux et… ce qui ne l’est pas.
En gaulliste convaincu et partisan acharné du "régime nouveau" de la 5e République, le docteur Schaffner [député-maire de Lens], invite les habitants à pavoiser leurs maisons sur le parcours suivi par la général-président. Mais se rendant sans doute compte que lesdits habitants auraient plutôt tendance à exprimer en mal qu’en bien leurs opinions sur la politique du… général… président.
Monsieur le député-maire SFIO-gaulliste donne connaissance des dispositions particulières prises à cette occasion :
- Il est interdit d’apposer sur les trottoirs et sur les chaussées tous tracts, affiches ou inscriptions de caractère séditieux ;
- De même qu’il est interdit d’exhiber des banderoles ou des pancartes présentant le même caractère subversif ;
- Ce qui sera toléré, et qui ne sera pas considéré comme "séditieux" ni "subversif", ce sera le seul mot d’ordre suivant : "Vive de Gaulle".
Non, cela le docteur Schaffner ne le dit pas, mais il le fait clairement comprendre. Par contre, ce qui serait "séditieux" et "subversif", ce serait par exemple des mots d’ordre tels que "Paix en Algérie. Négociation avec ceux contre qui on se bat" ; "Nous voulons des augmentations de salaires" ; "La retraite complémentaire" ; "Nous voulons le rétablissement de la retraite des anciens combattants" ; "Pas de subventions aux écoles privées, mais la construction de locaux scolaires pour l’école laïque, l’école de la République".
Nous citons quelques-uns des mots d’ordre qui pourraient être considérés comme séditieux ou subversifs, car dans son communiqué M. le député-maire ne donne aucune précision.
Mais ce qui est précis par contre c’est la mobilisation au "garde-à-vous" qu’il voudrait obtenir.
À cela nous répondrons que les ménagères qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts, les mineurs qui n’ont jamais subi une surexploitation aussi éhontée, les jeunes que l’on sacrifie dans une guerre contraire aux intérêts de la France, et tous les travailleurs et les petites gens qui subissent les effets néfastes de la politique gaulliste décadente, n’ont pas de leçon à recevoir de ceux qui se font les fossoyeurs de la France.
Le docteur Schaffner, quant à lui, ne tiendra pas de propos "séditieux", car la seule parole qu’il pourra prononcer ce sera : "Oui, mon général" ; il ne parlera pas des revendications des travailleurs, car alors il serait considéré comme un élément subversif, ou plutôt, pour un gaulliste "suspect".
Malgré tout, quelles que soient les mesures prises par les "services officiels" pour assurer à de Gaulle un accueil "chaleureux", cela ne masquera pas l’opposition grandissante à la politique gaulliste de misère et de guerre.
Et en définitive, ce seront les travailleurs, les républicains, les laïcs, qui auront le dernier mot.