Après avoir réclamé plusieurs fois le transfert des archives en lieu sûr, Alexis Lavoine est enfin entendu au lendemain de l’incendie du palais Saint-Vaast.
Les archives obtiennent des hommes de corvée et des camions pour transférer les documents sur Paris (hôtel de Soubise) pour la partie la plus ancienne (2 000 ml), et vers Boulogne-sur-Mer pour la partie contemporaine.
Cette évacuation est réalisée en août 1915 dans des conditions difficiles, les camions devant s’engager à travers les ruines jusqu’à une gare située à proximité de la ligne de front, à Duisans. L’opération s’effectue durant dix-sept nuits consécutives, tous feux éteints pour ne pas se faire remarquer par l’ennemi. Au total, sept wagons sont dirigés sur Paris, et sept autres sur Boulogne-sur-Mer.
Rapport de M. l’Archiviste départemental
Arras, le 25 août 1915
Monsieur le Préfet,
Le rapport de cette année sur le service des archives du Pas-de-Calais sera malheureusement très bref, tous les travaux en cours ayant dû être presque totalement interrompus depuis le mois d’août 1914.
Au mois de juillet de l’an dernier, le service se trouvait dans des conditions de développement très favorables. Le plan de travail prévoyait l’achèvement prochain de plusieurs inventaires sommaires et les collections, installées en vue d’un accroissement indéfini, dans de nouveaux locaux du palais Saint-Vaast, étaient sur le point de bénéficier d’une organisation pour laquelle le Conseil général avait consenti de larges sacrifices.
L’ennemi n’ayant pas manqué de poursuivre la destruction de l’inoffensif monument qui renfermait les richesses artistiques, littéraires et historiques existant à Arras, il ne reste plus rien de cette organisation. Dès les premiers jours du bombardement, le personnel des archives descendit dans les caves de l’aile orientale du palais les plus précieuses des archives anciennes et les plus consultés des documents modernes. Il dut aussi veiller à la conservation de ceux qui restaient au premier étage et faire remplacer par de l’étoffe tous les carreaux des 44 fenêtres brisées. Il prenait en même temps des mesures analogues pour la sécurité de la bibliothèque et des archives communales d’Arras. Il satisfaisait en outre aux quelques recherches provoquées par l’Administration et par les rares travailleurs qui n’avaient pas encore délaissé tous leurs travaux. MM. Lavoine, Brunel et Louis, ainsi qu’Émile Domart tant qu’il ne fut pas mobilisé, ne manquèrent pas une séance de travail jusqu’aux derniers bombardements de juin et de juillet.
Ce fut le bombardement du 5 juillet qui réussit enfin à détruire le robuste palais Saint-Vaast, en même temps que la bibliothèque communale tout entière, à l’exception des manuscrits et d’un petit livre rare qui avait été, depuis peu, communiqué à la bibliothèque de Carlsruhe. En même temps qu’une très grande partie des collections du musée d’Arras, périt tout le fonds des archives départementales qui avait été laissé dans le déambulatoire d’hiver et dans les salles du premier étage.
Dans la crainte qu’un nouveau bombardement ne fît effondrer les caves où avaient été descendus les titres les plus précieux, il fut convenu que ces titres seraient conduits à Paris où M. le Ministre de l’Instruction publique voulut bien leur donner asile au Palais Soubise même. Ce déménagement compliqué d’un transbordement à une gare de la ligne Arras-Étaples, eut lieu de nuit et sans encombre dans le courant du mois d’août. Actuellement, les Archives du Pas-de-Calais reposent dans trois endroits différents [ note 1] : 1e à Arras, dans l’immeuble de la rue des Fours ; 2e à Paris, au Palais Soubise ; 3e à Boulogne-sur-Mer, où nous avons dirigé les dossiers des bureaux de la Préfecture dont un grand nombre est d’âge et de nature à être pris en charge par le service des Archives départementales.
Voici la nomenclature sommaire des documents transportés à Paris :
Série A
- Tout le "Trésor des Chartes d’Artois".
Série B
- Conseil provincial d’Artois : registres aux commissions, provisions, etc. (XIVe-XVIIIe siècles) ; liasses concernant la constitution, les privilèges et l’organisation du Conseil d’Artois, la tenue des assemblées bailliagères ; les cahiers de doléances de 1789 ; les registres aux dénombrements des fiefs tenus du Domaine.
- Amirautés de Boulogne et de Calais : registres et liasses concernant les officiers, maîtres de navires, garde-côtes, rapports des capitaines, procès, échouements, corsaires, jugements de prises (XVIIe-XVIIIe siècles).
- Sénéchaussée de Boulogne : registres du roi et registres d’insinuations (1550-XVIIIe siècles).
Série C
- États d’Artois : Registres et liasses des assemblées (1550-1789). Registres aux centièmes et vingtièmes (1569, 1767, 1779).
- Élection d’Artois : Registres aux commissions, etc. (XVIe-XVIIIe siècles).
Série D
- Collège des Jésuites d’Arras et de Saint-Omer (XVIIe-XVIIIe siècles).
Série E
- Comptes d’Arras (XVe-XVIIIe siècles).
- Charitables de Saint-Éloi de Béthune (XIIIe-XVIe siècles).
Série G
- Toutes les chartes à sceaux des chapitres d’Arras, Aire, Béthune, Lens, Lillers (XIIe-XVIIe siècles).
- Les registres capitulaires de la Collégiale d’Aire (XVe-XVIIIe siècles).
Série H
- Toutes les chartes à sceaux des abbayes de Saint-Vaast d’Arras, Ham, Auchy, Cercamps, Chocques, Samer, Avesnes, Étrun, Gosnay et de divers couvents de l’Artois et du Boulonnais. Les registres de l’abbaye de Saint-Bertin de Saint-Omer, relatifs au conseil de l’abbaye, aux comptes du couvent, de la trésorerie et de l’Hôtellerie (XIVe-XVIIIe siècles).
- À ces fonds anciens, il faut ajouter une série de 400 plans (XVIe-XVIIIe siècles), hors dossiers.
Série L
- Directoire du département et administration centrale : registres aux délibérations et arrêtés ; correspondance ; pièces diverses.
- Fonds des représentants en missions.
- Registres aux arrêtés et correspondance des districts d’Arras, Bapaume, Béthune, Boulogne, Calais, Montreuil, Saint-Omer et Saint-Pol, ainsi que les liasses d’affaires diverses de ces districts.
- Registres et liasses de 65 municipalités cantonales.
- Registres et liasses des comités de surveillance, sociétés populaires, tribunaux révolutionnaires.
Série Q
- Domaines nationaux, ventes antérieures et ventes postérieures à l’an IV.
- Domaine maritime (an VIII-1860).
- Domaine et enregistrement. Registres de formalités (1789-1808).
Série S
- Travaux publics et chemins (en partie) (an VIII-1905).
Série T
- Écoles de médecine et d’agriculture.
- Beaux-Arts.
- États de traitements des instituteurs (an VIII-XIXe siècles).
Série V
- Dons et legs aux fabriques des églises ; rentes ; revenus ; mobilier (an XI-1905).
Série X
- Biens des pauvres. Dons et legs aux hospices, bureaux de bienfaisance, etc. (an X-XIXe siècle).
À cette liste, il faut ajouter les registres d’état civil, délibérations et arrêtés, qui, dans les dernières années, ont été déposés par 116 de nos communes rurales ; ces registres sont au nombre de 1 851. Il faut également y ajouter, outre les 1 200 manuscrits de la Bibliothèque communale, toutes les archives historiques d’Arras et une partie du fonds communal administratif moderne que les employés du service des Archives départementales ont dû par deux fois déménager ; à ce propos, il est bon de remarquer que la seule partie détruite du fonds ancien des archives communales d’Arras consiste en quelques registres aux impositions (CC) et aux audiences (FF), épaves du fonds de la Cité avant sa réunion à la ville en 1749.
Le transfert provisoire à Paris des manuscrits de la Bibliothèque et des archives communales d’Arras a été effectué, avec le consentement de M. le Maire, en même temps que celui des Archives départementales ; les manuscrits de la Bibliothèque sont actuellement déposés à la Bibliothèque nationale (département des manuscrits) ; les archives communales ont été transportées, avec le fonds départemental, aux Archives Nationales, Palais Soubise.
Ce déménagement, qui s’est effectué de nuit, pendant la première quinzaine d’août, a nécessité l’emploi de sept wagons et a pu être mené à bien, grâce au concours de l’autorité militaire. Les papiers modernes transportés à Boulogne ont rempli sept autres wagons.
Il nous reste en terminant à vous renouveler, Monsieur le Préfet, toute la satisfaction que nous avons éprouvée devant la manière de servir du personnel des Archives pendant cette dure période. Aussi, et en m’appuyant sur les règles d’avancement du personnel des bureaux, j’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir accorder à MM. Lavoine et Brunel, ainsi qu’aux deux commis, Domart et Bajeux, les promotions de classe dont ils peuvent bénéficier. Grâce à une réduction opérée sur un des articles du budget des Archives, qui ne pourra pas trouver tout son emploi par suite du déménagement de ces Archives, le total général de ce budget se trouvera être, non pas en augmentation, mais même en diminution sur celui de l’année dernière :
- Traitement du personnel : 16 000 francs ;
- Dépouillement extraordinaire des archives, achat de cartons, entretien de la bibliothèque, frais de bureau : 1 000 francs ;
- Publication de l’inventaire sommaire : 300 francs ;
- Inspection des archives des sous-préfectures, des communes et des hospices : 1 000 francs ;
- Classement et entretien des archives des sous-préfectures (indemnités aux employés des Archives départementales) : 100 francs ;
Total : 18 400 francs.
Le budget de l’exercice précédent atteignait le chiffre de 18 000 francs.
L’Archiviste du département,
P. FLAMENT
[note 1] Sans compter le dépôt départemental de Saint-Omer et celui de Boulogne.
Registre des délibérations du Conseil général, avril-septembre 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 N 132.