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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

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La Dame aux loups

Il était une fois… une petite fille noble qui osa défier les us et coutumes de son époque et décida de mener sa vie comme bon lui semblait. Marie-Cécile-Charlotte de Laurétan, baronne de Draëck, est en effet un personnage qui marqua l’histoire de Zutkerque. Encore aujourd’hui, on évoque dans le pays de Brédenarde le souvenir de celle qu’on surnommait la Dame aux loups. Découvrez l’histoire de cette femme au caractère hors norme qui se rendit maîtresse de son destin.

La Dame aux loups

Temps de lecture :

[Narrateur]

Au cours du XVIIIe siècle, l’Artois est un territoire essentiellement rural. Les campagnes ont été largement déboisées et les surfaces agricoles ne cessent d’augmenter. Le territoire des loups, encore très présent dans la région, se réduit inexorablement.  La confrontation entre le prédateur et l’homme, qui occupe presque tout l’espace, devient inévitable. Les loups s'attaquent plus facilement aux animaux domestiques souvent gardés par des enfants : chiens, moutons, brebis ou vaches.

Même si elles restent exceptionnelles, les attaques d’enfants existent bel et bien. La bête du Gévaudan qui sévit entre 1764 et 1767 a défrayé la chronique et créé une vive émotion mêlée de crainte dans toute la France. Ainsi, le loup devient l’ennemi public numéro 1, nourrit l’imaginaire populaire et s’invite dans les contes comme le Petit Chaperon Rouge de Charles Perrault paru en 1797. La peur du loup, liée à la haine de celui qui attaque les biens, entraîne une réaction humaine de défense et conduit les pouvoirs publics à promouvoir sa destruction. Sa chasse intensive et la poursuite du déboisement ont entraîné la quasi éradication de la population de loups en France. Ce n’est qu’à partir de 1990 que le loup obtient le statut d’espèce protégée au niveau européen.

[Conteuse]

Il était une fois, une famille noble et importante qui vivait à Zutkerque, dans cette jolie région boisée et marécageuse qu’on appelle le pays de Brédenarde. Le 17 août 1747, par une belle journée d’été, naquit une adorable petite fille. Ses parents lui donnèrent le doux nom de Marie-Cécile-Charlotte de Laurétan. Mais nous l’appellerons Marie, c’est moins long !

Bébé, elle fit la joie de ses parents et passa les premières années de sa vie, heureuse et choyée, dans la quiétude du château familial.

Mais, en ce temps-là, la vie d’une petite aristocrate n’était pas un long fleuve tranquille ! Son destin était de se marier, d’être heureuse, peut-être, mais surtout d’avoir beaucoup d’enfants ! Destinée à être une bonne épouse, la fillette, riche et noble, se devait d’avoir de belles manières. On lui enseigna donc la modestie et la réserve et toutes les normes de la féminité.  Elle apprit à coudre, lire et compter, à tenir une maison, à parler une belle langue et surtout à se conduire correctement en toutes circonstances.

Mais la petite Marie n’était pas assez docile et bien trop espiègle pour se plier à cette éducation ! Elle songeait à un tout autre destin !

Il faut dire qu’elle ne ressemblait en rien aux petites filles de son époque. Plus vive, plus téméraire, préférant les jeux bruyants aux jeux tranquilles, elle aimait courir, monter à cheval, explorer la nature, observer les animaux sauvages, se perdre dans les bois. Elle n’avait que faire des poupons et des dinettes et coupait méthodiquement les cheveux des coûteuses poupées de porcelaine que sa maman s’obstinait à lui offrir.

Chaque jour, elle se faisait gronder.

 « Ne fais pas ci ! Ne fais pas ça voyons ! Restez tranquille ! Soyez sage ! Conduisez-vous en petite fille bien élevée ! »

Elle en avait assez d’être sans cesse réprimandée parce qu’elle déchirait ses jolies robes, perdait ses rubans ou salissait ses jupons.

« Pfff… Que tout cela m’encombre ! J’en ai assez des frous-frous et des coquetteries qui m’obligent à rester sagement assise ! Lorsque je serai grande, je ne porterai que des pantalons, c’est décidé ! »

Ce que Marie aimait, elle, c’était passer le plus clair de son temps à courir la campagne et à chasser le gibier avec son oncle. Chasseur redoutable, il lui avait transmis sa passion dès son plus jeune âge. Elle adorait ce vieil ours bourru qui savait traquer le sanglier comme personne et était le seul à vraiment la comprendre.

« Comme j’aimerais lui ressembler ! »

Ses parents, quant à eux, voyaient d’un très mauvais œil que Marie se comporte comme un garçon. Ils n’acceptaient pas qu’elle refuse mordicus de s’occuper à des tâches plus féminines et plus délicates.

Un jour que Marie rentrait de la chasse, une fois de plus crottée de la tête au pied, la dépouille d’un lièvre accrochée à sa ceinture, sa mère ne pût réprimer sa colère.

« Cette fois, c’en est trop ! Je ne puis tolérer davantage ses attitudes de garçon manqué. Est-ce là l’attitude d’une jeune fille convenable ? Oh Seigneur miséricordieux, ayez pitié de nous ! Qu’allons-nous bien pouvoir faire de cette petite sauvageonne ? »

Afin de faire rentrer la petite fille dans le rang et lui inculquer de force les bonnes manières, ses parents l’envoyèrent au couvent des Ursulines à Saint-Omer, à plus de deux heures de calèche de sa maison. Les au-revoir furent froids. Marie ne daigna pas embrasser ses parents. Ce n’est qu’en apercevant son oncle que les larmes lui vinrent aux yeux.

« Mon oncle ! Mon cher oncle ! Par pitié, ne les laissez pas m’emmener ! Je veux rester près de vous ! »

« Cela suffit ! Dépêchez-vous de monter dans ce carrosse et cessez ces enfantillages ! »

Elle n’avait même pas eu le droit de le serrer dans ses bras avant son départ sous prétexte qu’il avait une trop mauvaise influence. Elle ne le savait pas encore mais elle ne le reverrait plus jamais.

« Adieu mon oncle, adieu ! »

Lorsqu’elle arriva au couvent, la petite Marie, habituée au luxe de son château, fut médusée : le lieu était sale et froid, les dortoirs étaient lugubres, les enfants y dormaient sur une fine paillasse et leur couverture paraissait démanger furieusement. Mais surtout, l’endroit grouillait de rats.

Croyez-vous que notre jeune héroïne en fut effrayée ? Au contraire !

Elle y vit une merveilleuse occasion de développer ses instincts de chasseuse. Au lieu d’étudier sagement comme ses petites amies, elle se mit à voler des bouts de fromage au cellier, à installer des pièges dans tout le couvent et à guetter chaque recoin à l’affût d’une nouvelle proie. Un jour, elle donna à une religieuse la peur de sa vie. Alors que sœur Eulalie se rendait au réfectoire, un rat, semblant fuir un horrible danger, lui fila entre les jambes en poussant des couinements de terreur. Sœur Eulalie bondit sur la table.

« Ahhhhhhhh ! Au secours !!! »

S’attendant à voir un énorme matou courir derrière le rat, elle fut stupéfaite de découvrir Marie, le regard noir, les cheveux en bataille, les joues rouges, les jupes retroussées jusqu’aux cuisses, poursuivre le rongeur en brandissant un gourdin.

« Haha ! prends ça vilain rat ! »

Cet épisode valut évidemment à Marie une belle punition ! Les sœurs lui firent la sempiternelle leçon :

« Vous êtes-vous regardée ? Ce n’est pas le comportement que l’on attend d’une dame de votre rang. Jamais un mari ne voudra d’une telle furie. Vous finirez vieille fille voilà tout ! »

« Tant mieux ! » se dit Marie, se gardant bien d’énoncer sa pensée à voix haute de peur de recevoir une nouvelle correction. Il faut dire que les punitions réservées aux esprits diaboliques étaient très dures au couvent : mise au pain sec et l’eau toute une semaine, coup de bâtons, isolement dans une cellule froide et humide… Mais rien ne pouvait faire plier la détermination de Marie.  Elle ne comprenait pas pourquoi le fait d’être une fille devait l’empêcher de faire ce qu’elle aimait. Pourquoi une fille ne pourrait-elle pas chasser ? Et pourquoi vouloir la marier à tout prix ? Une femme ne pouvait donc pas être heureuse sans mari ? Toutes ces questions se bousculaient dans son esprit.

« C’est injuste. Un jour, je serai libre ! quand je serai grande, je ne laisserai plus personne me dicter ma conduite sous prétexte que je suis une fille ! Je partirai à la chasse si bon me semble ! »

Et elle tint cette promesse ! Lorsqu’elle eut 15 ans, elle quitta le couvent. Enfin, elle allait retrouver son cheval et sa passion de toujours : la chasse. Au grand dam de ses parents, elle abandonna définitivement les coiffures sophistiquées, les robes délicates et fragiles, les horribles corsets et les jupons de soie. Elles se coupa les cheveux très court et adopta des vêtements bien plus adaptés à la vie dont elle rêvait. Les habitants du Brédenarde s’habituèrent donc à voir passer la jeune châtelaine en veste de chasse, en pantalon et en bottes, le fusil à l’épaule et un chien sur les talons.

Pour autant, ses parents ne renonçaient pas à faire accepter à Marie sa condition de femme. Ils lui présentèrent les meilleurs partis de la région. Mais elle repoussa obstinément tous les projets de mariage.

Lorsqu’elle eut 24 ans, de guerre lasse, elle accepta finalement, un époux. Ce serait le baron de Draëck, un homme bedonnant et ennuyeux de 45 ans, qui l’adorait mais qui, surtout, lui promit de la laisser poursuivre sa passion pour la chasse. Les excentricités de Marie le ravissaient. On raconte même que le baron était fier d’épouser une femme unique en son genre, si différente de toutes les autres.

Vous l’aurez compris, bien que fiancée, Marie n’était pas prête à la moindre concession.

« Hors de question de renoncer au pantalon ! Vous ne m’enfermerez pas dans vos atours et vos paniers ridicules ! »

Le jour du mariage, le curé de la paroisse refusa d’unir deux personnes portant l’une et l’autre le costume masculin.

« Non, non, non et non ! Il est hors de question qu’une mariée prononce ses vœux sous le regard de Dieu dans…, dans ce…, dans cet accoutrement ! »

Il eut toutes les peines du monde à convaincre la jeune promise de revêtir une tenue féminine pour la cérémonie. De mauvaise grâce, Marie, future baronne, accepta un compromis. Elle enfila bien une robe de mariée le temps du mariage mais par-dessus ses habits de chasse.

« Pfffff…. Quelle mascarade ! On se croirait au carnaval ! »

L’union fut plutôt heureuse, au début : il faut dire que les deux époux se voyaient très peu. Lui aimait se plonger dans les livres, elle, vivait au grand air.

Mais le baron désirait une chose plus que tout : un héritier. Comme Marie refusait absolument de devenir mère, ils finirent par se séparer d’un commun accord. Le baron comprit que son épouse était trop libre pour trouver du plaisir dans la vie familiale et qu’elle ne serait jamais heureuse avec lui. Elle sut qu’elle ne pourrait jamais apporter le bonheur à son époux. Il retourna donc dans son domaine d’Oudezeele et elle réintégra le château de Zutkerque. Marie fut bien désolée du chagrin qu’elle causait à ce pauvre baron mais elle fut tellement heureuse de retrouver son indépendance !

À la tête d’une grosse fortune, autonome et puissante, elle allait enfin commencer la vie qu’elle s’était promise : une vie de liberté, une vie d’homme. Elle commença par aménager son château à son image. Les pièces furent bientôt encombrées de fusils, carabines, pistolets, sabres, couteaux, cors de chasse, fouets et cravaches. Les murs furent recouverts de tous ses trophées : têtes de cerfs, de sangliers et autres chevreuils.

Faisant fi de toutes les conventions de l’époque, Marie géra elle-même son domaine et mena une vie entièrement dédiée à la chasse. Ses exploits impressionnaient les villageois. Admiratifs de sa force et de son courage, ils la supplièrent bientôt de débarrasser la région d’un prédateur redoutable qui semait la terreur dans la région : un énorme loup !

« Baronne, nous venons solliciter votre aide ! »

« Un loup, une bête horrible, sévit dans la région. On dit qu’il est aussi grand qu’un homme et qu’il a le regard du Diable ! »

« Et que ses crocs acérés peuvent vous découper en deux ! »

« Il est si assoiffé de sang qu’il s’en prend autant aux bêtes qu’aux enfants, il y a déjà eu des attaques ! »

« C’est la bête du Gévaudan ! »

« Mon Dieu, vous seule pouvez venir à bout d’un tel monstre. »

« Je vous ai entendu. Je m’engage devant Dieu à pourchasser cette bête jusqu’à sa mort... ou la mienne. »

Marie se lança corps et âme dans cette quête. Elle traqua le prédateur, questionna les victimes, suivit l’animal à la trace. Accompagnée de son cheval favori et de sa meute de quarante chiens, elle parcourut la campagne et les forêts dans l’espoir de tuer la bête féroce.

Un jour, alors qu’elle se reposait à côté de son cheval, elle entendit un bruissement de feuilles et le craquement d’une branche. Elle sursauta, se releva d’un bond et se trouva nez à nez avec le loup affamé qui déjà se léchait les babines. La description que les villageois en avaient faite était un peu exagérée, mais la bête était bien le loup le plus immense qu’elle eut jamais vu.

Un combat acharné commença alors entre le loup et Marie qui n’avait pour se défendre que le vieux couteau de chasse que son oncle lui avait offert bien des années plus tôt. Elle parvint à siffler ses chiens. Fort heureusement, ils accoururent aussitôt à son secours et affrontèrent avec courage les crocs du monstre. Aucun n’abandonna. Le loup, attaqué de toute part vacilla enfin. Profitant de cet instant de faiblesse, Marie, dans un ultime effort, lui porta le coup fatal. La bête s’effondra, vaincue ; le couteau de Marie lui transperçait la gorge.

Quand elle entra victorieuse dans Zutkerque, la dépouille du loup sanglée sur la selle de son cheval, les villageois, venus en foule, acclamèrent cette fière amazone qui était venue à bout du monstrueux animal.

Depuis ce jour, Marie devint une héroïne. On la surnomma « La Dame aux loups ».

Infatigable et à la hauteur de sa légende, la Dame aux loup chassa toute sa vie, du Ternois au Douaisis, jusqu’à la Flandre maritime, ce prédateur qui infestait les forêts. On dit qu’elle aurait tué, à elle seule, près de 800 loups.

Mais la vieillesse eut raison de sa passion pour la chasse, elle finit sa vie, dans le calme de son château, de façon aussi peu féminine et conventionnelle qu’elle l’avait commencée, travaillant dans son atelier de menuiserie ou tressant du fil de fer pour fabriquer des volières.  La Dame aux loups poussa son dernier soupir à l’âge de 75 ans. Au pays de Brédenarde, on raconte encore les exploits de cette femme hors-du-commun.

Elle est un modèle pour toutes les petites filles extraordinaires.

Ce conte vous a plu j’espère. Eh bien, sachez que La Dame aux loups n’est pas une légende ! La baronne de Draëck a bel et bien existé. La vraie vie, aussi, est faite de belles histoires et les femmes y tiennent bien souvent le premier rôle…

Télécharger la bande son (mpeg, 38.41 Mo)

Crédits

Cet épisode a été écrit, interprété et réalisé par les archives départementales du Pas-de-Calais.

Nous remercions Un beau joueur et Loïck pour le générique original, Esther (voix de Marie enfant) ainsi que les agents des archives du Pas-de-Calais (voix, montage et réalisation).