À l’annonce de la guerre, l’archiviste en chef du Pas-de-Calais, Pierre Flament, est mobilisé. Son adjoint, Alexis Lavoine, reste seul à Arras pour veiller à la conservation des collections départementales.
Depuis le début du XIXe siècle, les archives départementales sont abritées dans le palais Saint-Vaast à Arras (occupé, entre autres, par la bibliothèque et le musée municipaux). Situé au cœur de la cité, celui-ci a déjà souffert de bombardements en février 1915, au même titre que d’autres monuments du centre-ville.
Hélas, ces épisodes que déplore Lavoine ne sont rien en comparaison du gigantesque incendie du 5 juillet 1915 qui va ravager le palais et réduire en cendres les trésors qu’il renferme…
Ce qui se passe dans le Nord
À Arras
Un Calaisien vient de recevoir, de M. Lavoine, chef de bureau aux Archives départementales du Pas-de-Calais, une lettre datée d’Arras, 3 février 1915. En voici un extrait :
Que de ruines dans notre pauvre capitale artésienne ! Rien ne peut vous en donner une idée. Hôtel de ville ruiné, notre beau beffroi abattu, notre pauvre cathédrale visée sans cesse (15 obus dimanche, de 4 à 5 heures), nos places meurtries : le palais Saint-Vaast percé de toutes parts laisse filtrer l’eau dans le Musée et bientôt dans nos galeries pour lesquelles je tremble : la seule église d’avant la Révolution détruite, l’hôpital Saint-Jean blessé horriblement, etc., etc.
J’ai pu, avec des territoriaux, mettre à l’abri des fonds précieux des Archives ; sauvé avec MM. Lennel et Morel, avant le deuxième bombardement, les archives historiques d’Arras ; descendre aussi en cave les 1 200 manuscrits de la Bibliothèque. Mais combien de fonds à préserver encore de l’eau ou de l’incendie dans nos six kilomètres de rayons !
Notre local des séances de la Commission des Monuments est démoli, et il va falloir déménager de ce côté aussi, les livres et tableaux. Même situation à l’Académie. Et pour tout cela personne : chacun a mis sa peau à l’abri.
J’ai eu 44 fenêtres brisées ; il a fallu les boucher avec des toiles. L’état-civil a été aussi sauvé par M. Bros, chef de bureau à la mairie.
Du fond ancien il y a peu de pertes ; mais il est regrettable que le service des travaux n’ait pu sauver ses dossiers de démantèlement, ses plans de canalisations diverses et surtout le plan Beffaro.
Ma femme et mes jeunes filles n’ont pas voulu quitter la maison familiale, d’abord pour la préserver et aussi dans l’attente d’un mot de notre enfant (Noël Lavoine, caporal, blessé dans l’Aisne, le 30 août, et disparu depuis).
Il ne reste comme collègue des Monuments que M. Victor Leroy ; tous les autres n’ont pu supporter l’orchestre de jour et de nuit que nous subissons.
M. Lennel est professeur de philosophie au lycée d’Angers durant l’année scolaire.
La France du Nord, dimanche 14 février 1915. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG16/91.
Dans un de nos prochains articles, nous évoquerons le terrible incendie qui a ravagé le Palais Saint-Vaast deux jours durant, du 5 au 7 juillet 1915.
Présents à l’intérieur de l’édifice, les collections des archives départementales, de la bibliothèque et du musée municipaux ont été durement touchées, faisant de l’abbaye Saint-Vaast un exemple majeur des destructions patrimoniales pendant la Grande Guerre.
Dans le cadre conjoint des saisons Arras, Ville martyre (projet centenaire 14-18 de la ville pour 2014-2015) et Le Pas-de-Calais dans la guerre (programmation du Département pour 2015), il sera proposé de retracer, à travers une exposition et un ensemble de manifestations complémentaires, l’histoire des lieux (abbaye Saint-Vaast et cathédrale) et la situation des trois institutions (archives départementales, bibliothèque et musée municipaux) à la veille de la Grande Guerre, mais aussi la destruction des bâtiments et la perte d’une partie de leurs collections lors des bombardements, enfin leur sauvegarde pendant la guerre et leur reconstitution à l’issue du conflit.
L’exposition L'abbaye Saint-Vaast dans la Tourmente de la Grande Guerre se déroulera du 27 juin au 21 septembre 2015, au musée des beaux-arts de la Ville d’Arras.