La direction des archives départementales du Pas-de-Calais est confiée le 15 avril 1949, à Pierre Bougard (1923-2014), avant même sa nomination comme archiviste paléographe, le 24 mai suivant. Qui aurait pu dire que ce Breton y passerait toute sa carrière ?
Un service proche de l'asphyxie
À l’arrivée de Pierre Bougard, deux étages du bâtiment construit par Georges Besnier sont totalement encombrés, et une ancienne cartonnerie, rue Baudimont, en assez mauvais état, peu sécurisée, et dans un environnement "assez sordide", en accueille le complément jusqu’à 2 800 ml. Son premier chantier est ainsi fixé : il s’agit de prévoir une utilisation intensive des locaux par l’élimination sévère des papiers périmés et le regroupement matériel des séries dispersées
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En parallèle, il s’efforce de moderniser le fonctionnement de son service, en créant un véritable centre de documentation administrative pour les services de la préfecture, et surtout en obtenant du Conseil général, dès le 20 juin 1950, les crédits nécessaires au développement d’un laboratoire de microfilmage.
À la demande du Département, l’annexe Baudimont est toutefois très vite abandonnée : au cours de l’exercice 1951-1952, Pierre Bougard doit ainsi regrouper au sein du dépôt principal les 2 km linéaires qui y étaient encore stockés, et pour ce faire affecte tout le personnel au tri des dossiers des dommages de guerre, ramenés de 1 000 à 350 ml.
L’encombrement du dépôt reste cependant récurrent : de 1949 à 1966, sont versés ou déposés, en moyenne 420 ml par an. Les archives départementales sont en effet confrontées aux importantes réorganisations administratives des années 1950-1960. Pour répondre à cet enjeu, Pierre Bougard entreprend dès 1953 le regroupement des versements anciens au sein des séries modernes et leur numérotation provisoire, tout en multipliant les campagnes de tri : 235 tonnes de papiers périmés sont vendus au cours de ses dix premières années d’activité.
Chaque inspection générale rappelle la nécessité d’une extension – qui permettrait en outre de développer d’autres actions, telles que la création d’un service éducatif. Dans le rapport d’activité de 1962-1963, Pierre Bougard indique que le manque de place est un mal chronique dont les archives départementales doivent, bon gré, mal gré, s’accommoder
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Une politique de collecte active malgré tout
Au fil des années, la situation devient de plus en plus préoccupante, car Pierre Bougard est confronté à un accroissement massif des versements, deux fois plus importants qu’ils ne l’avaient été depuis dix ans : entre 1966 et 1969, ce sont en effet 760 ml qui rentrent annuellement. Il s’agit des fonds judiciaires, à nouveau touchés par des réorganisations des palais de justice ; et surtout des archives des anciennes compagnies des Houillères nationales du bassin du Nord et du Pas-de-Calais [ note 1].
On notera que Pierre Bougard a, aussi, toujours suivi attentivement le destin des archives privées, qu’elles soient familiales ou économiques, et cela alors même que les conditions d’espace ne le facilitaient pas :
- pour les premières, le dépôt dès septembre 1954 du chartrier de Bois-en-Ardres (15 J),
- l’achat de la collection arrageoise Laroche (18 J) trois ans plus tard,
- ou les fonds Clouet des Pesruches (43 J)
- et Dubois de Fosseux (32 J) arrivés au cours des années soixante-dix, en sont quelques exemples.
Et l’on ne saurait oublier le rôle essentiel qu’a pu avoir Pierre Bougard pour la protection des archives des paroisses, y compris par leur dépôt par la commission diocésaine d’archives et d’histoire à partir de 1967 (75 J).
Trois annexes sont alors aménagées : dans les combles du tribunal d’instance de Saint-Pol en octobre 1967, puis à Arras, dans l’ancien garage Cagé à partir de janvier 1969, et dans une ancienne école rue Ferdinand-Buisson en 1970-1971.
Un nouvel élan grâce à la construction d'un nouveau bâtiment à Dainville
Le 16 décembre 1968, le Conseil général adopte l’avant-projet de bâtiment conçu par l’architecte en chef du département Francis Lemaire, à Dainville (rue des Anciens-Combattants d’Algérie) ; et le chantier s’ouvre le 20 août 1971. Il est rapidement mené : le déménagement est lancé avant même que l’ensemble du mobilier ne soit acquis, et sans interruption de la salle de lecture.
Le 23 septembre 1974, le centre de Dainville ouvre finalement au public, avec les mêmes horaires qu’aujourd’hui, soit de 9 heures à 17 heures sans interruption. Le dépôt de la préfecture est maintenu, avec des missions de préarchivage pour la préfecture et les administrations financières, mais aussi de conservation et de communication.
Pendant quelques années, l’accroissement des collections se maintient à un rythme particulièrement lourd, par l’accueil des nombreux versements en souffrance, mais aussi par suite d’une rationalisation des contacts avec les administrations et d’une prise en charge systématique de certains ensembles, comme l’enregistrement ou les ponts et chaussées ; s’y ajoute l’application de l’obligation de dépôt des archives des communes de moins de 2 000 habitants, prévue par la loi du 21 décembre 1970, longtemps repoussée malgré lui par Pierre Bougard et qui ne peut être réellement lancée qu’à partir de 1981. Ce sont ainsi 1 500 mètres linéaires que doivent recevoir chaque année les archives départementales entre 1974 et 1981, et ce n’est qu’à partir de 1983 que les versements amorcent une certaine décrue (1 096 ml en 1985).
De nouveaux services et métiers se développent
Pierre Bougard crée l’un des tout premiers laboratoires photographiques de France. Le microfilmage de complément comme de sécurité va être activement développé. Parmi les fonds précieux des archives départementales ayant bénéficié de cette mesure de protection, on citera, par exemple, le trésor des chartes d’Artois (série A), en 1968-1970, puis à partir de 1976.
La construction du nouveau centre à Dainville permet de renforcer cette politique de conservation préventive, en accroissant encore le rôle du laboratoire de microfilmage, mais aussi par la création dès 1977 d’un atelier de reliure-dorure, qui ne sera toutefois effectif qu’après le recrutement d’un relieur en septembre 1979.
Pierre Bougard réalise, également, des instruments de recherche et guides méthodologiques encore irremplaçables aujourd’hui : en 1963 paraît ainsi Les sources de l’histoire démographique du département du Pas-de-Calais (1789-1820) ; en 1967, est publié son travail de reclassement de la série B prenant en compte les destructions de la Première Guerre mondiale ; et en 1975, avec l’aide de son adjointe, Ghislaine Bellart, il publie le dictionnaire d’histoire administrative et démographique Paroisses et communes de France : Pas-de-Calais.
Depuis le milieu des années soixante, le développement des recherches scientifiques, puis les réformes du réseau universitaire ont fait fortement croître la fréquentation de la salle de lecture : alors que le nombre de lecteurs annuels différents était resté stable de 1953 à 1966, autour de 250, il s’élève à 550 en 1970-1971 et à 740 cinq ans plus tard.
Les conditions d’accueil offertes par le centre de Dainville et, naturellement, le développement de la recherche généalogique amateur à partir de la fin des années soixante-dix, ont un impact encore plus considérable. Le nombre d’articles communiqués augmente de 31 % entre 1974 et 1975 ; en 1986, 1 724 lecteurs consultent 49 244 documents, soit respectivement 57 et 60 % d’augmentation en dix ans.
Quant au service éducatif, il ne voit le jour qu’à la rentrée 1976, grâce à l’arrivée d’Alain Nolibos. Proposant des visites commentées des archives, des dossiers pédagogiques diffusés par le CDDP ou réalisés à la demande, et l’organisation d’expositions annuelles – souvent liées au concours de l’historien de demain –, il connaît un développement relativement régulier, et de réels succès, tels que :
- L’enseignement primaire dans le Pas-de-Calais 1789-1914 (novembre 1976-février 1977),
- Le travail des enfants au XIXe siècle dans le Pas-de-Calais (février-juin 1978),
- La presse du Pas-de-Calais des origines à 1944 (1982),
- Le Pas-de-Calais dans la Grande Guerre (octobre-décembre 1984),
- Les fêtes publiques 1600-1814 (février-juin 1985).
Ainsi, à son départ à la retraite le 31 juillet 1987, Pierre Bougard a laissé un service complètement transformé, avec un bâtiment neuf, et de nombreux chantiers de modernisation en cours. Il quitte ses fonctions alors que les archives départementales viennent de passer le 1er janvier 1986 sous l’autorité du président du Conseil général.
[ note 1] Ces fonds ont été transférés au Centre des archives du monde du travail (actuelles Archives nationales du monde du travail), à Roubaix, conformément à la convention passée le 17 octobre 1994, entre le Ministère de la Culture et de la Francophonie, le Département du Pas-de-Calais et l’Association nationale de gestion des retraités des Charbonnages de France et des Houillères de Bassin.