À l’instar du gouvernement Ribot, celui formé par Paul Painlevé le 12 septembre 1917 ne résiste pas au climat délétère gangrené par les affaires. Le 13 novembre 1917, il tombe à son tour.
Pour la troisième fois en moins d’un an, Poincaré doit nommer un nouveau président du Conseil. Cette nomination intervient dans un climat tendu, au-delà même des affaires. Car la situation militaire est critique : les bolcheviks, qui viennent d’accéder au pouvoir en Russie, sont en train de négocier la paix, ce qui devrait rapidement entraîner un déséquilibre de la répartition des forces en Europe ; les Allemands espèrent pouvoir ainsi concentrer leurs troupes sur le front de l’ouest avant que ne soit terminée la formation des recrues américaines.
Le nouveau président du Conseil doit donc être capable de redresser le moral des Français et de faire preuve d’une persévérance sans faille sur la conduite des opérations. Aux yeux de Poincaré, et bien que de nombreux différends les opposent, un seul homme a la stature pour endosser un tel rôle, celui que l’on surnomme "le Tigre", Georges Clemenceau. Mettant de côté ses griefs personnels, Poincaré lui demande d’endosser cette nouvelle responsabilité. Le gouvernement Clemenceau est formé le 16 novembre 1917.
Controversé, rejeté par les socialistes qui lui reprochent la répression des mouvements sociaux comme ministre de l’Intérieur de 1906 à 1909, Clemenceau écarte par son nom même tout rapprochement sous la bannière de l’Union sacrée. Cumulant les fonctions de président du Conseil et de ministre de la Guerre, il dispose de pouvoirs très étendus, qu’il détiendra jusqu’au 20 janvier 1920.
Dans ce nouveau gouvernement, Stephen Pichon est nommé aux Affaires étrangères, Louis Klotz aux Finances, Étienne Clémentel au Commerce, à l’Industrie, aux Postes, aux Télégraphes, aux Transports maritimes et à la Marine marchande. Charles Jonnart accepte le portefeuille du nouveau ministère du Blocus et des Régions libérées, mais se rétracte une semaine plus tard, le 23 novembre, arguant de raisons de santé, même si d’autres motifs peuvent expliquer cette démission. Après un temps d’observation, il aurait désapprouvé l’éparpillement des responsabilités entre plusieurs ministères, alors que le sien aurait dû être compétent dans des domaines tels que le transport ou la main-d’œuvre pour être efficace. Clemenceau ne lui en tient cependant pas rigueur et le nomme en janvier 1918 gouverneur général d’Afrique du Nord.
Autre homme politique issu du Pas-de-Calais, Léon Abrami reçoit le sous-secrétariat d’État à la Guerre où il est plus spécifiquement chargé des questions relatives aux effectifs, aux pensions et à l’administration générale ; il exerce du 17 novembre 1917 au 19 janvier 1920. Si son action peut paraître limitée, il s’occupe en particulier, sous l’autorité directe du président du Conseil, de la question des "embusqués", chère à ce dernier : lors de son discours d’investiture du 20 novembre 1917, Clemenceau a en effet annoncé son intention de neutraliser les traîtres et les défaitistes plombant le moral du pays, faisant bientôt arrêter entre autres Caillaux et Malvy. Après-guerre, Abrami est réélu député sur la liste de l’Union républicaine socialiste et nationale.
Adresse à M. Abrami
Le Cercle républicain vient de prendre l’initiative de l’adresse suivante :
Monsieur Abrami
Sous-Secrétaire d’État aux Effectifs et Pensions
4, rue MonsieurMonsieur le Ministre,
Il y a un an, le cercle républicain de Boulogne, dont vous êtes l’élu, avait le plaisir de vous entendre.
Avec votre éloquence habituelle, vous nous expliquiez votre rôle pendant cette guerre où se heurtent, dans un dernier sursaut, la barbarie teutonne et la civilisation latine. Et ceux-là même qui, avant de vous entendre, vous reprochaient de ne pas être plus intimement des nôtres, étaient heureux de reconnaître que votre modestie n’avait d’égale que votre bravoure maintes fois témoignée.
Aujourd’hui, nous vous voyons nanti d’un des plus pesants fardeaux de l’État, puisque, dans un sous-secrétariat, modeste d’apparence, vous assumez, à vous seul, les lourdes charges des pensions, des effectifs et de l’administration générale. Dans cette dernière branche, surtout, vous aurez un rôle immense à remplir. Nous sommes persuadés que vous serez à la hauteur de votre tâche, aussi aride qu’elle soit, que sera, pour vous, l’occasion de prouver plus amplement votre valeur personnelle et de faire moisson de nouveaux lauriers qui nimberont le parti républicain boulonnais tout entier.
Vous avez eu, déjà, la fortune, très rare, d’être un des benjamins du plus grand de nos républicains, de la plus pure gloire de la République – Georges Clemenceau – qui vous a choisi pour être de sa phalange.
Aussi, nous tous qui vivons votre vie politique, nous sommes fiers de vous et heureux de vous adresser en pareille occurrence, avec nos félicitations les plus vives, l’expression sincère de notre entier dévouement et des patriotiques espoirs que nous faisons en vous.
Pour le comité,
Le Président,L. Butel
La France du Nord, lundi 26 et mardi 27 novembre 1917. Archives départementales du Pas-de-Calais, PG 16/96.