Entré aux archives départementales du Pas-de-Calais en 2018, le fonds Enlart présente un intérêt indéniable pour l'histoire locale, nationale, voire internationale ! À travers trois documents, qui témoignent de sa richesse et de sa diversité, nous pouvons découvrir le destin de trois membres de la famille Enlart ayant laissé leur empreinte dans l’histoire.
Un fonds à l'honneur
Le fonds Enlart, conservé dans la sous-série 123 J, représente 5 mètres linéaires d'archives s'étendant de 1539 à 2012. Il rejoint celui de la branche cousine des Enlart de Grandval, entré aux archives départementales en janvier 2017 et coté en sous-série 124 J.
Ce fonds est composé des archives produites par les Enlart sur onze générations. Du XVIIe au milieu du XIXe siècle, ceux-ci sont marchands drapiers à Montreuil, puis élus locaux, propriétaires terriens et magistrats, jusqu'à l'arrivée de Camille Enlart qui a préféré se destiner à une carrière patrimoniale.
Le principal intérêt de cet ensemble réside, bien sûr, dans la présence des papiers de ce dernier, composés notamment de manuscrits et de dessins, de ses publications ainsi que de quelques photographies. Toutefois, comme nous le verrons, le célèbre érudit est loin d’être le seul de sa famille à présenter un intérêt majeur pour les historiens !
Ce fonds dispose désormais d'un répertoire numérique détaillé, consultable sur notre site internet.
Le plan de classement reprend simplement la généalogie descendante de la famille : d’Antoine Enlart, né à la toute fin du XVIe siècle, à Christian Enlart, décédé en 2017. Suivent, dans une deuxième partie, les papiers des familles alliées : Buffin de Hults, Hertault, Hurtrel d’Arboval, La Motte, Liottier, Monsigny, Poissant et Raguenet de Saint-Albin. La dernière partie comporte des documents ne semblant ne pas avoir de liens directs avec la famille.
Jean-Baptiste Enlart : un propriétaire terrien
La réussite sociale des Enlart leur a permis d'investir, peu à peu, dans des biens fonciers. C'est probablement Jean-Baptiste Enlart qui en accumule le plus à la fin du XVIIIe siècle, principalement dans le secteur d'Airon-Saint-Vaast et d’Airon-Notre-Dame.
Ce dernier a été baptisé en la paroisse Notre-Dame de Montreuil le 1er juin 1727. Au moment de son mariage, à Auxi-le-Château le 6 février 1759, avec Marguerite-Isabelle-Séraphine Wallart (1737-1767), il est lieutenant général du guet de la capitainerie garde-côte de Verton. Il devient, par la suite, avocat au parlement, puis lieutenant général criminel au bailliage d’Amiens établi à Montreuil, de 1766 à 1772. Élu maire de Montreuil en 1790, il décède dans cette ville, le 25 messidor an VIII (14 juillet 1800).
Bien que roturier, Jean-Baptiste Enlart est propriétaire des fiefs de Rames, Fauquembergue, Le Fayel, Le Chastelet, Arsanville, Auchy, etc. : il paie en conséquence le droit de franc-fief, compensation due au roi par des non-nobles ne pouvant exercer les services attachés au fief, payée à chaque mutation et d’un montant généralement équivalent à une année de revenus.
Dans cette quittance [document coté 123 J 10], le receveur du droit de franc-fief du bureau de Montreuil certifie ainsi avoir reçu, de Jean-Baptiste Enlart, la somme de 47 livres 8 sous 8 deniers, pour qu’il puisse jouir, de 1775 à 1795, de deux fiefs situés à Buire, Saint-Aubin, Capelle et Airon-Saint-Vaast.
Nicolas Enlart : une figure de la Révolution française
Autre personnage important : Nicolas-François-Marie Enlart père. Né à Montreuil le 25 mars 1760, il est avocat au parlement lorsqu’éclate la Révolution. Nommé administrateur du district de Montreuil, il s’effraie de la rapidité des événements et offre sa démission le 31 mars 1792, en invoquant des problèmes de santé. Toutefois élu député à la Convention nationale le 2 septembre 1792, il y prononce un discours le 20 décembre [document coté 123 J 32], dans lequel il énonce la difficulté pour les Français de juger impartialement Louis XVI et où il propose de confier le jugement à 96 délégués "des peuples libres" (la Suisse, les États-Unis d’Amérique, le comté de Nice, la Belgique).
Nous voulons que la postérité ne puisse nous faire aucun reproche dans cette grande affaire : eh bien ! ne prononçons pas nous-mêmes sur le sort de Louis Capet. […] C’est aux peuples libres seuls qu’il appartient de prononcer, d’après les loix de la nature et les maximes de la politique, si ceux qui furent rois doivent expier les crimes qu’ils ont commis, ou par la perte de leur liberté, ou par le bannissement, ou par la mort.
Sa proposition n’ayant pas été retenue, Nicolas Enlart doit se prononcer, les 16 et 17 janvier 1793, sur la peine à infliger au roi. Sur les 721 conventionnels présents, il fait partie des 321 députés à ne pas avoir voté "la mort", préférant la détention puis le bannissement.
De retour dans le Pas-de-Calais, il est agent national forestier et accepte la fonction de juge de paix à Montreuil en 1794, et de président du tribunal civil en 1804. Il revient en politique de manière éphémère en participant comme député à la Chambre des Cent-Jours, convoquée par Napoléon, de retour de l’île d’Elbe, du 3 juin au 3 juillet 1815. Évincé lors de la Seconde Restauration, il s’efface pour se consacrer à ses fonctions de juge au tribunal de Montreuil de 1818 à 1833. Il meurt à Montreuil le 25 juillet 1842 et est inhumé à Airon-Saint-Vaast.
Camille Enlart : un érudit et un artiste
Il serait vain de présenter à nouveau ici la carrière prolifique de Camille Enlart (1862-1927). Toutefois, un document de ce fonds révèle que son parcours n’a pas forcément été tout tracé. Avant d’être archiviste-paléographe, membre de l'École de Rome, professeur suppléant à l'École des chartes ou encore directeur du Musée de sculpture comparée de Paris, Camille Enlart est, en effet, tiraillé par des passions contraires.
Dans un dessin [document coté 123 J 40, pièce 1] intitulé Procédure civile en résumé, par Enlart rapin, un homme est représenté, une cheville attachée à une colonne où est gravé le mot "Droit", essayant d’atteindre avec son pinceau une toile installée sur un chevalet, portant la mention "Bonne peinture".
Il s’agit sans nul doute d’un autoportrait ! Après avoir été diplômé bachelier ès-lettres au collège jésuite de Boulogne-sur-Mer en 1880, Camille Enlart – probablement pour suivre la tradition familiale – entame des études de droit à Paris. Il s’inscrit, cependant, aux cours du soir de l’École nationale des beaux-arts. Finalement, en 1885, il est admis à l’École des chartes, après y avoir été auditeur libre durant une année. Sorti major de sa promotion, il continue ses études de 1889 à 1891 à l’École française de Rome.
Sa passion pour les arts graphiques s’avère utile durant toute sa carrière et l’amène à illustrer lui-même ses nombreux articles et ouvrages, dont le fameux Manuel d'archéologie française.