Du Moyen Âge nous n'avons conservé que fort peu de plans d'architecture. Il est vrai que les procédés constructifs répondaient à une logique fort différente : le maître-maçon projetait directement sur le chantier le plan (la forme) de l'ouvrage à réaliser. Aussi pouvait-il se contenter de ne proposer qu'une ébauche graphique de plan (le patron), soit comme une indication au maître d'ouvrage du projet qu’il en entendait mettre en œuvre, soit plus souvent comme une indication pour les ouvriers qui soumissionnaient ou conduisaient le chantier.
Pour les régions du Nord ces plans restent extrêmement rares avant le XVIIe siècle. C'est dire tout l'intérêt que présentent les deux plans, acquis par les archives départementales du Pas-de-Calais en décembre 2000 chez un antiquaire belge, de deux des chefs-d'œuvre renaissants de la première fortification bastionnée à Arras : le plan au sol du boulevard Saint-Nicolas (1499-1501) et l'élévation du boulevard Méaulens (1509-1510).
Les fortifications d’Arras
Au Moyen-Age, Arras présente la particularité d’offrir deux enceintes fortifiées distinctes :
- l’une englobant la ville proprement dite et remontant au XIIe siècle,
- l’autre entourant la cité épiscopale et ne présentant pas d’éléments antérieurs au XIVe siècle.
Ces deux enceintes sont modernisées sous Charles Quint et Philippe II ; jusqu’au début du XVIIe siècle, les ingénieurs espagnols ajoutent de puissants ouvrages avancés. La grande enceinte de la ville d’Arras, généralement datée du XIIe siècle, est entièrement refaite après les luttes de la guerre de Cent Ans qui ravagèrent le pays.
Au cours de la seconde moitié du XVe siècle, après destruction des faubourgs, sont construites les courtines – dont la majeure partie n’était encore que des levées de terre – puis des tours de flanquement. Les travaux portent aussi sur les fortifications de la Cité qui ne conservaient que des murailles antiques plus ou moins restaurées, et qui permettent d’ériger une nouvelle enceinte se développant sur 2000 mètres et enfermant une surface de 30 hectares.
Prise par les armées de Louis XI en 1477, la ville d’Arras retombe entre les mains des Impériaux en 1492. Par la suite, l’état de guerre entre la France et l’Empire est incessant : la rivalité entre François Ier et Charles Quint s’exerce en particulier sur les frontières méridionales des anciens Pays-Bas. Dès lors, les travaux portés à l’amélioration des fortifications des villes d’Artois ne cessent plus : construction de la porte de la Cité (1498), des "boulevards" des portes Saint-Nicolas (1500), d’Hagerue (1508), de Méaulens (1508) et de Ronville (1510) ; ces trois boulevards, à la puissance de feu multipliée, adoptent un plan polygonal tout en étant rattachés au corps de place.
D’une manière générale, à la fin du XVIe siècle, les fortifications restent médiévales avec leurs courtines renforcées de tours et de boulevards d’artillerie construits à la fin du XVe siècle. Deux bastions sont néanmoins venus renforcer le circuit fortifié, celui de Rœux au nord-ouest de la cité et, sur le côté oriental de la ville, le premier bastion Saint-Michel érigé entre 1547 et 1550. Le bastion de Rœux, dit "des chouettes", est le seul à avoir échappé aux destructions du XIXe siècle.
Plan du boulevard Saint-Nicolas
Si nous examinons le premier plan, celui du boulverc de la porte saint Nicolas a Arras
, il est facile de constater que l'auteur du plan - peut-être Jehan Carré, maître-maçon de la ville d'Arras à partir de 1499 qui joue par la suite un rôle de premier plan dans le développement de la fortification bastionnée - s'est contenté d'esquisser son projet : certes une règle a été utilisée pour tracer les pans rectilignes du boulevard, mais les angles, la casemate de la tour droite, les canonnières et les escaliers de flanc sont dessinés à main levée. L'épaisseur donnée aux murs n'est pas égale, les flanc et face gauches sont un peu plus épais que leur vis-à-vis de droite.
Le plan n'est donc pas à l'échelle: le maître d'œuvre entend simplement donner le développement de l’ouvrage pour positionner un certain nombre d'éléments, porte, escaliers et canonnières. Aussi l'information graphique est-elle complétée par des données chiffrées, la première concernant son périmètre interne (Vc p[ieds] par dedens euvre
), la seconde son épaisseur murale (d'espes en bas XXXI p[ieds] et en hault XXII p[ieds]
), c'est à dire respectivement 150 mètres, 9,30 mètres et 6,60 mètres.
Ces données n'étaient utilisables que par les maîtres-maçons en charge du projet : il est vraisemblable que ce plan était destiné à accompagner, au moment de son adjudication publique, un devis écrit dont les articles concernaient d'abord des données chiffrées, périmètre de l'ouvrage, épaisseurs des murs en fondation ou en élévation, etc.
Plan du boulevard Méaulens
Le second plan représente l'élévation du boulevard de Méaulens (boulverc de le porte Miolen tirant vers Lile a Aras
). Reconstruit entre 1509 et 1510, l'ouvrage de plan polygonal possédait deux niveau de casemates (trois sur le flanc droit) couronnés jusqu'à 1541 par un parapet couvert de combles dont les ornements de fer forgé étaient ornementés d'une riche polychromie.
Apparaît ainsi pour la première fois son élévation d'origine, avant les travaux qui en 1541 arasent ses combles et modifient la façade de sa porte d'entrée. Si le projet architectural est conduit par les maçons Mahieu Martin et Pierre Barre rétribués chacun de la somme de 16 sous pour, avec les charpentiers Philippe du Chastel, Noël Philart et Antoine Willemaire, avoir faict visitacion et devise du bollvert de Meaulens
, ce plan ne peut être attribue qu'au peintre Vincent Corroyer - peintre actif à Arras au début du XVIe siècle - qui reçut 32 sous pour avoir faict et paint la devise
.