Longtemps laissés pour compte, les aliénés sont, jusqu’au XIXe siècle, généralement répartis entre hospices généraux, dépôts de mendicité et prisons.
Un rapport adressé au ministre de l’Intérieur en 1818 va les faire sortir de l’ombre. Rédigé par le docteur Étienne Esquirol, il dresse un constat alarmant sur les soins apportés aux malades, notamment sur leurs conditions d’hébergement.
L’émergence de la voix aliéniste
Esquirol préconise la création d’établissements dédiés aux pathologies mentales, arguant qu’un hôpital d’aliénés est un instrument de guérison
. L’idée selon laquelle l’asile est en lui-même la première condition à la guérison est émise dès le XVIIIe siècle. Elle sera largement développée par les grands aliénistes du XIXe.
Esquirol milite, entre autres, pour la construction de pavillons indépendants (pour une meilleure surveillance des internés), sans étage, reliés ensemble par des galeries.
Son rapport fait quelque bruit en plein essor des politiques hygiénistes. Le 30 juin 1838, une loi oblige chaque département à créer au moins un asile d’aliénés sur son territoire. Cette loi est complétée par une ordonnance du 18 décembre 1839, établissant la séparation des malades par sexe et par âge, ainsi que la mise en place d’une inspection générale des établissements dépendant directement du ministère de l’Intérieur.
En 1853, Maximilien Parchappe publie Des principes à suivre dans la fondation et la construction des asiles d’aliénés, toujours sous la direction du ministère de l’Intérieur, qui affirme par là sa volonté de normalisation. Le parti-pris tend à donner une réponse spatiale aux questions thérapeutiques. Parchappe reprend les théories d’Esquirol, classant les malades selon leur comportement (et non leur pathologie, voir le plan "divisions des épileptiques et agitées" en N 1295) et hiérarchisant les bâtiments au sein d’un ensemble.
La mauvaise réputation de Saint-Venant
Créé en 1702 par les Bons-Fils (frères du tiers-ordre de Saint-François), l’asile de Saint-Venant est tour à tour hôpital militaire et maison de force, avant d’être cédé par la ville au département en 1819. Cette cession comporte une clause : l’établissement doit garder sa fonction hospitalière. Les malades du Pas-de-Calais sont donc transférés à Saint-Venant, mais la médiocrité des résultats obtenus, le gouffre financier qu’il représente et la mauvaise réputation de l’asile (il est souvent cité comme étant l’un des pires de France) poussent le Conseil général à envisager son abandon en 1838, ce qui est voté à une grande majorité lors de la session de 1839.
Face à l’opposition du Conseil d’arrondissement de Béthune, relayée par les conseillers généraux de l’arrondissement, le préfet opte, en 1842, pour un placement des internés masculins à Lommelet (dans le Nord). Saint-Venant est ainsi exclusivement réservé aux femmes. Le transfert vers Lommelet s’achève le 22 mars 1844. Les bâtiments bénéficient de quelques travaux d’aménagement et les protocoles de soins sont repensés.
En quelques mois, la transformation est telle que le préfet déclare lors de la séance du 26 août 1844 :
Ainsi que nous l’avions espéré, l’ancienne prison de Saint-Venant est aujourd’hui transformée en un hospice. Déjà la mortalité a diminué et les guérisons sont plus nombreuses. Ces heureux résultats sont dus à l’amélioration du régime alimentaire et des conditions hygiéniques dans lesquelles se trouvent les malades, autant qu’aux soins éclairés et affectueux dont ils sont l’objet. Ils ne peuvent qu’aller en progressant.
Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 N 7.
Le premier projet, présenté au Salon des artistes français
L’asile prospère et accueille de plus en plus de malades. Un projet d’agrandissement reçoit un refus de l’inspection en 1860, sous prétexte qu’il n’y a pas d’autre solution que d’élever extra-muros un édifice nouveau conforme au plan proposé par M. l’inspecteur Parchappe
.
L’architecte départemental Théophile-Philippe Gieseler [ note 1] s’associe à Paul Lenoir, architecte des bâtiments civils de Paris. En 1868, ils dressent des plans aquarellés de leur projet. Ces plans d’une grande beauté sont présentés au Salon des artistes français en 1870. Ils prévoient plusieurs pavillons, avec des galeries de circulation les reliant les uns aux autres.
Ce projet initial est toutefois abandonné au début de la guerre de 1870.
Mise en place du second projet
Au lendemain de ce conflit, la France doit payer un lourd tribut à l’Allemagne et les crédits publics alloués à la construction d’asiles sont considérablement réduits. C’est pourquoi, l’architecture asilaire privilégie dorénavant l’isolement des bâtiments au détriment de la commodité du service en supprimant les galeries de service.
Entre 1875 et 1884, l’architecte lillois Jean-Baptiste Cordonnier, assisté de Paul Lenoir, construit l’asile d’Armentières, soit 14 pavillons pouvant accueillir près de 700 pensionnaires.
Le 19 août 1875, le Conseil général du Pas-de-Calais décide l’édification d’un nouveau bâtiment à Saint-Venant, sur un terrain de six hectares situé hors de la ville (une extension actée le 11 avril 1875 porte son étendue à douze hectares). Paul Lenoir opte pour un système pavillonnaire détaché et les travaux commencent le 1er juin 1877 jusque fin 1884.
Aujourd’hui, l’établissement est toujours en activité, seule sa dénomination a changé (il s’agit de l’Établissement public de santé mentale Val de Lys). Il a tout de même fallu attendre les années 1930 pour que l’on considère réellement ces structures comme des hôpitaux à part entière, puisque ce n’est qu’en 1937 que l’on perd la qualification "asile" pour celle d’ "hôpital psychiatrique".
Accédez ici à quelques uns des plans de l'asile de Saint-Venant conservés aux archives départementales.
[ Note 1] Né le 22 août 1830, Gieseler étudie à l’école des Beaux-arts de Paris, puis entre en 1850 dans le cabinet de son oncle, l’architecte Épellet. Il lui succède seize ans plus tard au poste d’architecte en chef du département du Pas-de-Calais (arrêté du 15 février 1866). Atteint de cécité partielle, il est contraint de démissionner en 1879 (arrêté du 19 juillet).
Notice sur Théophile-Philippe Gieseler dans Gaston-Louis Marchal et Patrick Wintrebert, Arras et l’art au XIXe siècle : dictionnaires des peintres, sculpteurs, graveurs, architectes, photographes, critiques et amateurs d’art (1800-1914), Arras, 1987, p. 137-138.