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[...] annexée à l’Artois. Toutes ces villes, Arras, Douai, Boulogne, St-Omer, etc., se jalousent et affichent les plus hautes prétentions ; Douai surtout, la ville lettrée "l’Athènes du nord" comme disent les Douaisiens. On sait ici à fonds son histoire locale, on parle de ses évêques, ses comtes, ses échevins, ses monuments, ses bibelots ; les collectionneurs sont nombreux et riches, presque tous industriels ; j’ai suivi quelques ventes ; le Delft est assez commun mais se vend bien.
J’espère cependant arriver à acheter plus tard quelques petites choses. Un autre caractère de ce pays est l’esprit d’association ; il y a ici je ne sais combien de cercles, de sociétés artistiques, savantes, agricoles, etc., quatre sociétés d’arbalétriers et trois d’archers qui s’exercent pendant l’été. On est du reste assez adroit ; toutes les fillettes, le long des rues, en allant à l’école, jouent au volant, ce qui n’est pas très rassurant pour les chapeaux. Vous le voyez, c’est un pays assez curieux à étudier, et mon séjour y aura, je l’espère quelque profit pour mon intelligence.
Mardi, je suis allé au bal à la Préfecture : c’était un peu cohue ; j’en ai été médiocrement satisfait et je crois que la plupart des personnes très-convenables, surtout parmi les royalistes n’y vont pas. La société très-mondaine est très-légère, et au bal la tenue de certaines personnes, danseuses et danseurs, laissait beaucoup à désirer.
À ce bal, un antiquaire du pays, qui a une place dans les contributions directes, mais s’occupe surtout d’antiquailles, M. de Cardevacque [note 2], me présenta à sa femme et à sa fille. Le carnet de Mlle était encombré, car on s’invite d’un bout du carnaval à l’autre, et de plus cette demoiselle ne dansa guères qu’avec deux jeunes officiers qui la promenaient dans les petits coins entre les danses ; je dansai – par politesse – une polka avec la mère, qui a beaucoup d’illusions ; nous causâmes longtemps et je fus invité pour le lendemain, car elle reçoit tous les mercredis.
Mais je prétextai un mal de dents (trop réel !) pour ne pas y aller : la maison n’est pas des mieux hantées.
Vendredi, M. de Galametz [note 3] me donna faire visite à Me de Rocourt [note 4], c’est tout autre chose, et je vais être présenté dans la famille de Hauteclocque [note 5], ce sont deux maisons où l’on va de temps à autre prendre le thé et qui sont les meilleures de la ville.
Demain, j’attends la visite de l’archiviste de Lille, l’abbé Dehaisnes [note 6], ami du R. P. Colombier [note 7]. Nous devons dîner ensemble mardi chez Mr Asselin [note 8] à Douai, qui n’est qu’à une 1/2 heure d’ici.
Mercredi, bal chez Mr Deusy [note 9], maire d’Arras, républicain plus bête que méchant, qui possède une magnifique galerie de tableaux et d’objets d’art ; j’y vais surtout pour voir ses collections.
Lundi, bal chez le général de Bellecourt [note 10], autre amateur, possédant une remarquable collection d’armes et armures de tous temps [...]
Notes
[note 2] Adolphe de Cardevacque (1828-1899) est un archéologue et historien arrageois. Il est membre actif de plusieurs sociétés savantes, telles que l'académie d'Arras, la société des antiquaires de la Morinie, la société des antiquaires de France et la commission des antiquités départementales du Pas-de-Calais. Avec son épouse, Joséphine-Louise Cot (1830-1888), il a eu trois filles : Valentine (1852-1918) mariée le 18 février 1873 avec Paul-Alexandre Norman (1848-1913) ; Marguerite-Émilie-Louise (1856- ?), mariée le 20 avril 1875 avec le général Georges-Albert Leleu (1852-1928) ; Magdeleine-Julie-Marie-Alexandrine (1861- ?), mariée le 6 mai 1885 avec le baron Alexandre Hertz, de Sarrebourg.
[note 3] Albéric de Brandt de Galametz (1831-1913), propriétaire à Arras, légitimiste, président de la société artésienne des amis des arts.
[note 4] Marie Joséphine Alexandrine de Briois (1803-1880), vicomtesse de Rocourt de Ruitz.
[note 5] Gustave de Hauteclocque (1829-1914) est un historien de l’Artois, membre de l’académie d’Arras et de la commission des antiquités départementales.
[note 6] Chrétien Dehaisnes (1825-1897) est successivement prélat du diocèse de Cambrai, puis conservateur des archives municipales de Douai (de 1863 à 1871), enfin archiviste du Nord (de 1871 à 1882).
[note 7] Henri Colombier (1829-1904) : né à Lille, il entre à la Compagnie de Jésus en 1848 ; chargé de la bibliothèque des pères à Saint-Michel de Laval de 1863 à 1865 et de 1867 à 1869, il devient ensuite bibliothécaire de l’école Sainte-Geneviève à Paris ; il publie plusieurs articles dans la revue Études.
[note 8] Alfred Asselin (1824-1876) est maire de Douai de 1863 à 1869. D’un esprit curieux, il est membre de la société nationale d'agriculture, sciences et arts de Douai.
[note 9] Ernest Deusy (1823-1897) est un avocat et un homme politique. Il est notamment maire d’Arras de 1870 à 1879.
[note 10] Barthélemy Alexandre Joseph Véron de Bellecourt (1814-1881), général de division.