À la suite de l'incendie des 5 et 6 juillet 1915, les archives départementales du Pas-de-Calais ont perdu une grande partie de leurs fonds anciens. Elles conservent toutefois encore quelques trésors, dont une charte de l'évêque de Beauvais Guérin, datée du 1er mai 1023 ! Mais son authenticité est sujette à caution.
Une charte épiscopale à l'honneur
Il s’agit d’un parchemin de 53,9 cm de hauteur sur 38,2 cm de largeur ; à en voir l'usure, il a dû être conservé plié en seize pendant de nombreuses années.
Le sceau ovale, plaqué en son centre, mesure 8 cm sur 6,5 cm. Brisé en de nombreux petits morceaux mal replacés, il est désormais assez difficile à identifier. Il est, cependant, encore possible de distinguer un personnage en pied, la tête nue. Au XIe siècle, les évêques sont souvent représentés sans mitre. En 1904, l'historien Maurice Prou est parvenu à restituer la légende : + G[A]RIN ĞRA [D]I BELVACE/////// EPS
. Tout donne donc à croire que le sceau est authentique.
Bien que le texte en latin soit, en partie, aujourd’hui presque illisible, nous savons de quoi il retourne grâce aux copies qui en ont subsisté.
L’acte débute par une invocation à la Trinité, suivie d'un récit. Il est ainsi rappelé que le roi des Francs, Robert II (972-1031), a réuni les grands du royaume au palais de Compiègne pour la réception des ambassadeurs de l'empereur romain germanique Henri II (973-1024) : Gérard (975 ?-1051), évêque de Cambrai, et Richard (970 ?-1046), abbé de Saint-Vanne de Verdun.
Se trouvent notamment dans l'assemblée, le comte de Flandre Baudouin Belle-Barbe (980-1035), Leduin, abbé de l’abbaye Saint-Vaast d’Arras, et Guérin (ou Garin, ou Warin), évêque de Beauvais. Ce dernier déclare qu'à la suite de divers entretiens avec Leduin, il conclut une société de prières entre les églises de Beauvais et de Saint-Vaast, et qu'il cède à cette dernière le tiers de l'autel (c'est-à-dire la dîme) d'Angicourt, à des conditions déterminées par la charte. L'acte est approuvé par le roi. Puis suivent les souscriptions d'un grand nombre de seigneurs et de prélats alors présents à Compiègne, tels que le futur roi Henri (1008-1060), ou le duc de Normandie Richard II (996-1026). La charte se termine par la mention d'une date qui paraît incohérente par rapport aux protagonistes et aux événements : l'an 1039, la 29ième année du règne de Robert.
Cet accord s'est fait à l'occasion d'une assemblée importante qui a, en fait, eu lieu le 1er mai 1023, lors d'une réunion consacrée à l'instauration de la paix. Elle est le prélude de l'entrevue de Robert II et d'Henri II, du 6 au 13 août 1023 à Yvois, dans les Ardennes, où l'empereur a renoncé à demander l’hommage du roi des Francs.
Son authenticité mise en doute
Dans le troisième volume de l’inventaire du fonds de l'abbaye Saint-Vaast, publié en 1911, Gaston Tison n'émet aucun doute sur l'authenticité de la charte de Guérin. Pourtant, sa véracité a été remise en question dès 1904, par l'étude diplomatique de Maurice Prou. Voici, dans les grandes lignes, ses principaux arguments :
- Comme il est dit précédemment, le sceau est très certainement authentique. Cependant, il n'aurait pas été appliqué sur le parchemin de manière traditionnelle. D'ordinaire, le sceau était retenu au parchemin par une incision à travers laquelle on faisait couler la cire. Ici, il n'est retenu que par l'adhérence de la cire. D'où la supposition que le sceau de Guérin a été détaché d'une autre charte pour être, tout bonnement, collé sur notre document.
- Par son style, l'écriture semblerait avoir été plutôt tracée dans la seconde moitié du XIe siècle. Et l'acte ne comporte, étrangement, aucune marque particulière du roi (pourtant souscripteur), tel que son sceau ou son monogramme.
- La date pose problème. Le millésime ne concorde pas avec l'indication des années du règne de Robert II. Pour que cette erreur de calcul soit possible, il faudrait que la réfection de l'acte ait été opérée suffisamment longtemps après la mort du monarque, survenue en 1031.
- L'abbé de Saint-Vaast est désigné ainsi :
Leduin, de vénérable vie, abbé du monastère de Saint-Vaast, homme complètement digne de l'affection de tous les hommes de bien
. Cette présentation dithyrambique ne peut raisonnablement pas avoir été faite de son vivant.
Cependant, toutes les personnes citées sont des contemporains du roi Robert II le Pieux. Le fait que le faussaire n'ait commis aucune erreur sur les noms des témoins amène à penser que ce document a été conçu à l'aide d'une charte originale, probablement relative au même objet. De cette charte, aujourd'hui disparue, proviennent donc certainement : le sceau de Guérin, le contexte de l'assemblée de Compiègne et le nom des protagonistes.
Quelles sont les motivations du faussaire?
Nous pouvons alors nous demander dans quel dessein cette charte a été remaniée. L’hypothèse la plus vraisemblable serait que les moines de l’abbaye Saint-Vaast auraient modifié quelques détails du contenu de l'acte original dans le but d’alléger la redevance due à l’évêque de Beauvais. En effet, la possession de l'autel d'Angicourt a été confirmée par une charte du 11 novembre 1084, de Gui, évêque de Beauvais. Cette dernière, également disparue, indiquait que la concession avait été faite par Guérin, mais en ajoutant une réserve à la confirmation : l'église de Saint-Vaast doit payer annuellement à l'évêque le droit de synode, ainsi que huit deniers pour le droit de visite. Or, dans notre charte, il n'est question que d'un seul droit : une redevance de huit deniers pro obsonio qui équivaudrait aux huit deniers de visite.
Contrairement à ce que l'on peut croire, le nombre de faux dans la documentation diplomatique médiévale est considérable. L'ingéniosité des faussaires s'exerce particulièrement sur les documents confirmant des droits sur des biens ou concédant des privilèges ecclésiastiques. Ces faussaires sont ordinairement des clercs ou des moines soucieux de protéger les droits menacés ou fragiles de leur institution.
Au Moyen Âge, la teneur de l'acte semble avoir une primauté sur la forme. Un acte douteux peut être reçu malgré ses anomalies, du moment que son contenu est jugé juste et conforme à la raison. La falsification est d'autant plus facile que le bénéficiaire d'une charte est ordinairement le seul qui la détient.
Un document remarquable
Même si elle a, en fait, probablement été rédigée à la fin du XIe siècle, notre charte est l'un des plus anciens documents conservés aux archives départementales du Pas-de-Calais, qui a, malheureusement, perdu une grande partie de ses fonds anciens lors de l'incendie du palais Saint-Vaast, les 5 et 6 juillet 1915.
Avant cette catastrophe, le fonds de l'abbaye Saint-Vaast était très riche et contenait quelques 3 212 articles, composés de registres et de liasses. Aujourd'hui, il ne reste plus que 225 articles pour la plupart estropiés. 95 % du fonds ont ainsi péri dans les flammes. Seuls les cartulaires et quelques chartes scellées ont pu être sauvés.
En outre, notre charte a la particularité de contenir la première mention historique de la ville de Clermont, dans l'Oise (ligne 27, maintenant presque illisible). En effet, le comte Baudoin de Claromonte est cité comme témoin parmi les grands du royaume, réunis ce 1er mai 1023 au palais de Compiègne. À ce titre, la charte est l’une des pièces maîtresses de l'exposition 1023. Clermont au Moyen Âge : un millénaire dans le Millénaire organisée du 2 au 18 juin 2023, à l'hôtel de ville de la cité picarde.
Vincent Doom
Cette charte est un trésor archivistique national. Elle est un document essentiel qui n'a rien de purement local mais est tout à la fois royal, impérial, religieux, diplomatique comme le montre Jean-François Lemarignier. La paix est un concept très médiéval mais "pas que" : on parle de paix romaine et de juge de paix naguère.
Le 14 juillet 2023 à 00h04
Vincent Doom
Bonjour, Bravo pour cette présentation de la charte retrouvée non sans difficulté et ce finalement grâce à Catherine Dhérent qui la connaissait bien et m'en a donné la cote. Prou conteste effectivement son authenticité jusqu'à la date de la réunion de Compiègne mais Lemarignier atteste qu'elle aurait bien eut lieu le 1er mai 1023. C'est une discussion savante. Elle est particulièrement intéressante car elle nous donne le texte d'une charte importante du roi Robert II le Pieux et montre les relations qu'entretenait le rois des Francs avec l'Empire romain germanique dont il n'aurait dû être que l'homme lige. Sur le fond, c'est la modification de la redevance due pour l'autel qui explique sa conservation et la falsification. Peut-être aurait-il été utile de faire la traduction du dispositif et des témoins. Baudoin n'était probablement pas comte de Clermont.. Il n'est mentionné mentionné que comme Baudoin de Clermont. Certainement un Grand mais encore seigneur vassal de l'évêque de Beauvais. Ce serait bien sûr à vérifier.
Le 02 mai 2023 à 14h40