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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

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Quand l’Histoire valait de l'or !

Benoni Lesueur primé par l'Académie d'Arras

Le 9 juillet 2023, l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras fête les 250 ans de son érection en Académie royale. Et par un heureux concours de circonstances, le 8 février dernier, les archives départementales du Pas-de-Calais ont eu l'opportunité de recueillir un précieux complément au fonds Émile-Lesueur, dont le père avait été distingué par l'Académie en 1899.

Une médaille à l'honneur...

Première page d'un livre.

B. LESUEUR, Histoire d’Étrun. L’abbaye, la commune, Arras, Imprimerie typographique et lithographique Répessé-Crépel, 1899. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 62.

Une fois n’est pas coutume, le document mis à l’honneur ce mois-ci est une médaille. Et pas n’importe laquelle ! Il s’agit d’une plaquette rectangulaire de 70 grammes d’or, de 6,1 cm de hauteur sur 3,9 cm de large, réalisée en 1900 par le sculpteur Léon-Alexandre Blanchot (1868-1947).

Elle est intitulée "Académie d'Arras" et représente la silhouette d'une femme drapée, la main gauche posée au-dessus de la devise Flores fructibus addit  (il/elle ajoute des fleurs aux fruits) et le bras droit tendu, tenant entre ses doigts une fleur. Sous ce bras, sont superposées les trois dates qui ont marqué l’histoire de l’Académie d’Arras, 1737, 1773, 1817 . À gauche, figurent des motifs floraux. À droite, se dresse le beffroi d'Arras surmontant les armoiries de la ville. Le revers porte l'inscription : B. Lesueur de Moriamé – Histoire - 1899 .

L'Académie des sciences, lettres et arts d’Arras est une société savante fondée dans la capitale artésienne le 22 mai 1737. Elle est érigée en Académie royale par lettres patentes du 9 juillet 1773. Supprimée, comme les autres académies, par la Convention nationale en 1793, elle est rétablie par arrêté préfectoral du 22 mars 1817. Puis elle est reconnue d’utilité publique par ordonnance royale du 24 septembre 1828, sous le nom de "société royale des sciences, lettres et arts d’Arras". Elle reprend, ensuite, le titre d’"Académie impériale des sciences, lettres et arts d’Arras" en vertu du décret du 13 août 1866. Elle prend, enfin, son nom actuel à l'avènement de la Troisième République et n’a cessé de le porter depuis lors.

Le but de l’Académie d’Arras est de favoriser toutes les formes d’activité intellectuelle et artistique et d’encourager les études relatives au département du Pas-de-Calais. Elle propose ainsi, chaque mois, des conférences publiques sur les thèmes qu'elle souhaite approfondir, et chaque année des concours (histoire, prose, poésie, patois, musique, etc.). L'organisation de ces derniers a très peu changé au cours du temps. Les prix consistent en mentions honorables ou en médailles de bronze, d'argent, de vermeil ou d'or. Tout lauréat ayant obtenu une médaille d'or, comme l’a été Benoni Lesueur, passe hors concours.

Photographie couleur du recto et du verso d'une médaille en or décrite dans l'article.

Médaille d'or décernée par l'Académie d'Arras à Benoni Lesueur de Moriamé, pour son Histoire d’Étrun. L’abbaye, la commune, 1900. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 3 (1).

...décernée pour avoir mis à l'honneur un village

Benoni a ainsi reçu cette haute distinction grâce à son mémoire, rédigé en 1899, sur l’histoire d’Étrun, son village natal, auquel il est viscéralement attaché. Lors de la remise du prix, le secrétaire-adjoint de l’Académie, Gustave Acremant (1851-1916), juge le style de Benoni concis, clair et élégant. Dans son rapport sur le concours d’histoire, il indique :

Il a amassé document sur document tant dans les archives des communes ou des abbayes voisines, que dans les séries d'inventaires de nos archives départementales. Chartes, bulles, privilèges, acquisitions, donations ont été savamment compulsés par lui et mis en ordre avec méthode. Je puis donc affirmer, sans crainte d'erreur, que ce chercheur patient a consacré plusieurs années à l'édification de ce véritable monument d'histoire.

Photographie noir et blanc montrant un groupe de personnes déjeunant sous un arbre.

Déjeuner sous le tilleul remarquable du parc du château d'Étrun, [ca 1910]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 56. 

L’auteur est donc né à Étrun le 20 janvier 1853. Notable soucieux d'asseoir sa réputation, Benoni Lesueur prend après son mariage avec Emma de Moriamé le nom de "Lesueur de Moriamé". La reconnaissance qu’il obtient grâce à ce prix lui ouvre les portes de la société savante dès 1900. Licencié en droit, Benoni Lesueur devient maire d'Étrun à la suite de son père et de son grand-père, et exerce cette fonction pendant 33 ans. Loin des grandes querelles nationales, son mandat semble avoir été assez consensuel. Il est marqué principalement par l'acquisition d'un local pour l'école publique et l'augmentation du budget du bureau de bienfaisance.

Patriote, Benoni Lesueur fait preuve d'un esprit de clocher presque exacerbé. Il n'est qu'à lire la préface de L'histoire d'ÉtrunIls sont là, ces ancêtres, ces nobles du travail, endormis au cimetière rural, à l'ombre du clocher, dans cette terre qu'ils ont fécondée de leur sueur . En 1914, bien que libéré des obligations militaires en raison de son âge, il rejoint son poste de chef de bataillon. Fait prisonnier lors de la reddition de Maubeuge, il meurt en captivité, à Torgau, le 29 décembre 1914.

Son attachement à ce charmant village de l’Artois, il le transmet à son fils, Émile. Celui-ci dédie d’ailleurs à ses parents les deux volumes de Mon pays d'Artois, publiés en 1932 et 1934 : À mon père, à ma mère qui m’ont appris à connaître et à aimer la terre natale . Et il consacre notamment à son village un recueil de poème : les Chants au clocher. En voici un extrait, dédié au vieux tilleul, qui abrite la famille Lesueur ou le conseil municipal de la commune d’Étrun sur les photographies ci-contre. Cet arbre majestueux trône d’ailleurs toujours dans le parc de l’ancienne abbaye.

 Le tilleul d’Étrun

Je suis le vieux tilleul, le plus grand de l'Artois, 
Mon faîte s'élargit et domine les toits, 
Les pauvres toits de chaume. 
J'ai le sol à mes pieds comme un rival battu, 
Le dominant toujours, soit bravoure ou vertu, 
De l'aigrette d'un heaume.

Mais ne croyez pas trop à cette noble ardeur, 
Je suis un vieux, un bon aïeul plein de candeur, 
Héros de la bataille. 
Et, chez nous, les géants, quand l'âge nous atteint, 
Nous courbons le front sous la rosée, au matin, 
Oubliant notre taille. 

Ô vous, mes petits-fils, et mes petits-neveux, 
Que trompe, sur mes ans, le vert de mes cheveux, 
En me voyant, qui dites : 
"Bien heureux celui-ci, qui sait dompter le vent !"
Écoutez mon histoire, et pensez que souvent
Les années sont maudites. 

Mais lorsque l'on est jeune, on croit le lendemain 
Toujours fait de soleil ; plus d'une blanche main 
Voulut couper mes pousses, 
Et je crois voir encor, lorsque le soir est clair, 
Passer, une par une, avec des chants dans l'air,
Ces silhouettes douces.

Or, sans presque y penser, je devenais ainsi
L'aïeul aux longs rameaux vivaces, que voici
Sous un faîte robuste ;
Si bien, qu'un jour, je fus effrayé, mes amis,
En voyant que vingt bras allongés s'étaient mis
Pour entourer mon buste. 

Certaine fois, je crus bien avoir un rival :
On remontait la Scarpe, et d'amont, et d'aval,
On chantait sur la Place ;
Mais le peuple est frivole, et dès qu'il l'eût planté,
Il délaissa bientôt l'arbre de liberté :
Moi seul, je le remplace ! 

Plus tard, – était-ce bien? – on vendit le couvent ;
Je restai solitaire, et je pleurai souvent
De mes plus vertes branches ;
J'étais un ancien roi dominant un désert :
Le vent me parut froid, l'été comme l'hiver,
Les terres toujours blanches... 

Bientôt une main chère, en des temps moins troublés,
Rendit la paix à tous, aux campagnes leurs blés ;
La guerre fut suivie
De la prospérité, du calme des labeurs,
Et le clocher d'Étrun compta ses laboureurs :
C'était nouvelle vie.

J'ai vu bien des amours, entendu de doux mots,
Et Ninette et Ninon vinrent sous mes rameaux
Rieuses jeunes filles ;
N'ayez peur ! vos serments, Écho les a perdus
Dans les nuages gris mollement descendus
Du ciel à nos charmilles. 

Ma gloire, je l'ignore ! Est-ce d'avoir vécu,
Dominant les forêts en colosse invaincu ?
Ou d'être un aïeul tendre ?
Ce n'est là que hasard ; le sol est un néant ;
Tel n'est point mon mérite, et, quoique né géant,
Je n'y peux pas prétendre. 

Mon grand honneur serait – je ne l'espère pas –
Avant de voir mon tronc disjoint par le trépas,
D'abaisser mon grand faîte,
D'entendre, un jour d'été, sous mon ombrage noir,
Un doux chant que j'inspire, un chant rempli d'espoir,
Le chant de mon poète.

Photographie noir et blanc montrant un groupe de personnes déjeunant sous un arbre.

[Le conseil municipal d’Étrun], photographie, [1907-1911]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 3.

Le fonds Émile-Lesueur

Le fonds Émile Lesueur a été donné aux archives départementales du Pas-de-Calais les 10 avril 1997 et 8 février 2023, par sa descendante, Madame Strube-Fonlupt. Il représente environ 6,5 mètres linéaires.

Photographie noir et blanc d'un diplôme sur lequel on lit : "Académie d'Arras. La société, délibérant aux termes des articles 17, 18 et 19 de ses statuts et des articles 24, 25 et 26 de son règlement intérieur, a confié dans sa séance du 20 juillet 1900 sur la proposition qui lui a été faite par MM. Sens, Rohart et Carlier le titre de membre résidant à Monsieur B. Lesueur de Moriamé. Arras,, le 1er janvier 1901. [signé] Le président, le chancelier, le secrétaire général".

Diplôme de membre résidant de l'Académie d'Arras décerné par le baron Cavrois de Saternault, 1901 (1er janvier). Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 3 (3).

Fils unique de Benoni Lesueur et d’Emma de Moriamé, Émile Lesueur est né à Étrun le 10 décembre 1880. Après son baccalauréat, il fait des études juridiques à Lille où il obtient le titre de docteur en droit. À la fin de ses études en 1906, il est chargé d'une mission agricole en Tunisie. À partir des années 1906-1907, Émile Lesueur, avocat au barreau d'Arras, adhère à plusieurs sociétés savantes, prenant une part active aux Rosati d'Artois et à la Société des études robespierristes.

Durant la Première Guerre mondiale, Émile Lesueur est commandant de compagnie. Blessé à deux reprises, dont une fois à Verdun, cité à l'ordre de l'armée comme un officier d'une haute valeur morale et d'un dévouement absolu , il est fait chevalier de la Légion d'honneur le 16 août 1917.

Réformé, il part avant la fin du conflit pour plusieurs années à l'étranger. Il est successivement directeur adjoint du gouverneur général d'Algérie (1918-1919), procureur de la République à Blida (1919) et secrétaire général de l'école de droit de Téhéran (1919-1921). Chacune de ces destinations est pour lui l'occasion de s'intéresser à l'histoire, à la géographie et à la situation politique des pays.

De retour en France, Émile Lesueur entame une brillante carrière de magistrat : président du tribunal civil d'Abbeville (1921-1925), juge (1926-1929) puis président de section au tribunal de la Seine (1929-1933), conseiller (1934-1936) puis vice-président de chambre à la cour d'appel de Paris (1936-1938), il finit sa carrière comme président de chambre à la cour d'appel de Paris.

Ce fonds privé est constitué des papiers personnels et professionnels, des notes d'érudition et de la correspondance d'Émile Lesueur. Il a ainsi pour intérêt de reconstituer la vie privée et publique d'un haut magistrat, à la fois érudit local, poète et historien, auteur de nombreux ouvrages. Ces archives font en outre apparaître quelques figures d'amis et de parents, telles que celle de Benoni Lesueur, le père d'Émile.

Lorsqu'elles ont été confiées aux archives du Pas-de-Calais, les archives d'Émile Lesueur étaient en grande partie déjà classées selon un ordre chronologique. Ce cadre de classement a été de manière générale respecté, car il permet de suivre facilement la carrière professionnelle du magistrat ainsi que l'évolution de ses centres d'intérêt et prises de position.

Dans le présent répertoire méthodique, le classement adopté par Bertrand Lesoing en 1997 – qui avait lui-même conservé la structure originelle – a été respecté. Les archives entrées en 2023 ont, soit intégré les dossiers initiaux, soit été intercalées entre deux cotes existantes. Une partie "bibliothèque" a, tout de même, été ajoutée au fonds lors de ce remaniement.

Pour aller plus loin

  • B. LESUEUR, Histoire d’Étrun. L’abbaye, la commune, Arras, Imprimerie typographique et lithographique Répessé-Crépel, 1899. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 62 ;
  • É. LESUEUR, Mon Pays d’Artois, Paris, éditions Eugène Figuière, tomes 1-2, 1932-1934. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 84-85 ;
  • É. LESUEUR, Chants au clocher, [1901]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 80 J 81 ;
  • Mémoires de l’Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, 1899, p. 212. Archives départementales du Pas-de-Calais, PB 394/63.