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Un pilori aux archives

Le pilori de la seigneurie de Grena

Dressé à proximité de l’entrée du centre Mahaut-d’Artois, à Dainville, un poteau en grès suscite l’interrogation de nombreux lecteurs qui fréquentent les Archives départementales du Pas-de-Calais. Il s’agit du pilori de la seigneurie de Grena qui se trouvait à Pommera, un village sis aux confins de l’Artois et de la Picardie.

Le pilori aujourd'hui dans le parc du centre Mahaut-d'Artois à Dainville.

Un pilori à l’honneur

Cette colonne – en partie enterrée – est d’une hauteur de 2,16 m. Elle est légèrement tronconique, son diamètre étant de 28 cm à la base et de 26 cm au sommet.

Sur le fût sont sculptés en relief la date de 1610 et un écu à la croix chargée de cinq étoiles, timbré d’un heaume accosté de lambrequins et cimé d’un col de licorne. Au sommet, une encoche correspond probablement au trou pratiqué pour sceller la chaîne qui retenait un collier de fer.

Quelques traces de peinture noire qui subsistaient encore çà et là, dans les années 1990, suggèrent que le pilori devait être peint.

Les armoiries sont celles de la famille de Villers, seigneur de Villers-le-Leu (à Mondicourt) et de l’Arrentement de Grena (fiefs vicomtiers), du Fiesnet (ou Fiesnel, à Aubigny-en-Artois), de la Vallée (Blangy-sur-Ternoise) et de Grena. C’est en 1560 que Philippe II d’Espagne anoblit Roland de Villers, un vaillant guerrier qui s’était distingué sous les ordres du bailli d’Avesnes et qui décède en 1608. Son fils aîné, Robert, achète la seigneurie de Grena au comte de Saint-Pol le 17 juillet 1623 ; il meurt moins de dix ans plus tard. La date de 1610 figurant sur le pilori, qui est de treize ans antérieure à l’acquisition de la seigneurie, constitue ainsi une énigme. La seigneurie de Grena passe au XVIIIe siècle entre les mains de la famille de Beauvoir, seigneur de Séricourt, puis en 1766 dans celle de Fouache d’Halloy qui demeure propriétaire du château de Pommera jusqu’en 1920.

Quelle est sa fonction ?

Pilori de la seigneurie de Grena (à Pommera-Sainte-Marguerite). Dessin tiré d'un article paru dans le Bulletin de la Commission des monuments historiques du Pas-de-Calais, t. 7, 1941-1949, pp. 47-49. Archives départementales du Pas-de-Calais, PC 1602/14.

Sous l’Ancien Régime, le pilori se dresse au cœur du village, généralement sur la place publique, contrairement au gibet qui se trouve plutôt en dehors du bourg.

Le mot tire son origine du latin vulgaire pilorium, lui-même issu du latin classique pila, pilier. Il désigne l’instrument de châtiment destiné à l’exposition publique d'un condamné, durant quelques heures, voire plusieurs jours, pour qu'il soit vu et conspué par la foule. Il peut simplement s’agir d’un poteau en chêne ou en pierre, muni d’un collier métallique que l’on passe au cou du supplicié. Cependant d’autres piloris peuvent être des constructions plus élaborées.

Par sa fonction répressive, le pilori a une signification hautement symbolique : il rappelle l’autorité du seigneur détenteur de la haute justice, seul habilité à l’ériger. C’est pourquoi y figurent en général ses armoiries, gravées à même le monument ou représentées sur une bannière disposée au sommet.

L’exposition au pilori fait partie des peines infâmantes infligées pour des fautes légères. Dans l’ordonnance de 1670 du conseil d’Artois, qui a établi la gradation des sanctions, le pilori vient après le carcan et précède le bannissement à temps, le blâme et l’admonition. Si l’on en croit l’étude d'Edmond Lecesne (1813-1895), Exposé de la législation coutumière de l’Artois, la peine de pilori ne se prononce que contre les banqueroutiers. Mais elle peut aussi être associée à d’autres châtiments.

Comment est-il arrivé aux Archives ?

En 1939, l’érudit et généalogiste Fernand Decroix (1896-1988) découvre cette colonne couchée le long d'une maison située sur la route nationale 25, à Pommera, entre Arras à Doullens. Il l'identifie comme étant l'ancien pilori de la seigneurie de Grena. Il en fait l'acquisition et la plante dans sa propriété de Pommera, au château de Sainte-Marguerite.

Photographies du pilori de Grena prises par Fernand Decroix (1939), Archives départementales du Pas-de-Calais, 12 J 1/242.

Cette demeure étant restée inhabitée durant quelques temps après son décès, les héritiers se décident de mettre en vente l’édifice patibulaire en décembre 1990. Grâce à l'entremise de Patrick Wintrebert, archiviste et conservateur des antiquités et objets d'art, le conseil général du Pas-de-Calais décide alors de l'acquérir pour préserver un des rares témoignages de ce type subsistant dans le département.

Comme en témoigne un petit reportage photographique, la direction départementale de l’Équipement en assure alors le transport et son installation aux Archives départementales du Pas-de-Calais.

Transport du pilori de Pommera à Dainville. Photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais.

Installation du pilori dans le parc du centre Mahaut-d'Artois à Dainville. Photographie. Archives départementales du Pas-de-Calais.

Les piloris dans les archives

Armoiries de la famille de Villers. Archives départementales du Pas-de-Calais.

Ce supplice ne semble être mentionné que très rarement dans les fonds des archives départementales.

Toutefois, dans l’épave du fonds de l’abbaye de Licques, se trouve une information éclairante sur un projet d'érection d'un pilori armorié devant la ferme du Mat à Mentque. Voici ce que rapporte un expert dans l’article 40 du procès-verbal du 29 décembre 1785 :

En conséquence de la réquisition dans les dires dudit sieur Regnault dudit jour treize du présent mois sur l'emplacement et construction d'un pilori sur la place de laditte ferme du Mat à l'entrée de la barière, nous porterons aussi cet art[icle] par mémoire et sans préjudicier aux droits des parties ainsi qu'il suit.

L'arbre dudit pilori sera en bois de chêne de bonne qualité sans aubier, de longueur et grosseur convenable pour qu'il entre au moin deux pieds et demi en terre et que la partie enterré soit plus gros que le surplus au-dessus du sol.

Au haut dudit arbre seront sculpté les armes de la seigneurie, le tout peint convenablement et garnie de la chaine et du collier, que nous estimons qu'il en poura coutter le tout ensemble une somme de trente livres que nous portons cÿ par mémoire

De même, dans un plan du clos du chapitre de l'église cathédrale de Notre-Dame d'Arras, daté de 1755, est dessiné un pilori surmonté d’une bannière.

Détail du plan figuratif du clos du chapitre de l'église cathédrale de Notre-Dame d'Arras. Archives départementales du Pas-de-Calais, CPL 1457.

Le pilori de la seigneurie de Grena est ainsi un signe de haute justice rarissime dans notre région. Durant la Révolution, les républicains se sont acharnés contre ces symboles de l’arbitraire judiciaire. Dans son Manuel d’archéologie française, Camille Enlart considérait, d’ailleurs, qu’ils avaient tous disparu. En réalité, quelques rares témoignages subsistent, le plus souvent mutilés ou maquillés en édicules religieux, ce qui rend leur identification hasardeuse.

Bibliographie 

  • R. RODIÈRE, "Pilori de la seigneurie de Grena (à Pommera-Sainte-Marguerite)", Bulletin de la Commission des monuments historiques du Pas-de-Calais, t. 7, 1941-1949, pp. 47-49. Archives départementales du Pas-de-Calais, PC 1602/14 ;
  • E. LECESNE, Exposé de la législation coutumière de l’Artois, Arras, imprimerie A. Courtin, 1869. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 4459 ;
  • C. ENLART, Manuel d’archéologie française, Paris, Auguste Picard, 1929. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 1809/1-5 ;
  • B. GHIENNE, "Plantation d’un pilori à Haisnes en 1768", Gauheria, n° 21, juin 1990, pp. 13-14. Archives départementales du Pas-de-Calais, PC 1598/4.

 

Sources 

  • Procès-verbaux de visite de l'abbaye de Licques et des biens en relevant (1785, 8 novembre-1786, 8 mars). Archives départementales du Pas-de-Calais, 21 H 2, ff. 90-91 ;
  • Plan figuratif du clos du chapitre de l'église cathédrale de Notre-Dame d'Arras... (1755, 5 mai). Archives départementales du Pas-de-Calais, CPL 1457.