Archives - Pas-de-Calais le Département
Les informations contenues dans cette page ne sont valables avec certitude que jusqu'à cette date et heure.

Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

En raison d’une panne du chauffage du Centre Georges-Besnier, sa salle de lecture (Arras) ferme jusqu’à nouvel ordre. Pour toute recherche administrative urgente sur les fonds conservés sur le site concerné (archives contemporaines), nous vous invitons à nous contacter pour une communication par correspondance ou, en cas de nécessité pratique, pour organiser une session de consultation en salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois des documents nécessaires à votre recherche.

Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée et vous remercions par avance de votre compréhension.

Quand Robespierre défend les privilèges

Galerie photos

En 2019, les Archives départementales du Pas-de-Calais ont fait l’acquisition des brouillons de trois requêtes rédigées par Maximilien de Robespierre, alors avocat au conseil d'Artois. Celles-ci concernent une affaire opposant le comte de Maulde, marquis de la Buissière, à Jean-Baptiste Watelier, seigneur vicomtier, à propos d'un droit de chasse.

Contexte de production des documents

 

Dessin couleur montrant un homme en habit 18ième siècle.

Maximilien de Robespierre. Portrait en pied [1801-1900]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 472/155.

À la veille de la Révolution, Arras est une ville importante. Capitale de la province d’Artois, elle abrite une institution unique dans le royaume : le conseil provincial d’Artois. Cette juridiction a été érigée par Charles-Quint en 1530 ; remplacée en février 1771 par le conseil supérieur d’Arras, elle est rétablie par l’édit de novembre 1774. Mais elle sera définitivement supprimée par l’article 14 du décret des 6-7 septembre 1790. À la manière des parlements, le conseil d’Artois juge les affaires criminelles en dernier ressort, mais est soumis à l’appel au parlement de Paris pour les causes civiles les plus importantes. Aucun avocat n’est admis à plaider devant le conseil, sans préalablement y avoir été reçu. Il faut être gradué en droit canon ou civil et parfois subir un examen, après une enquête de vie et de mœurs. Les avocats du barreau d’Arras étaient généralement diplômés des universités de Douai ou de Louvain mais, au XVIIIe siècle, à l’instar de Robespierre, ils sont souvent issus de Paris, après avoir été boursiers au collège d’Arras.

En 1787, 87 avocats sont inscrits au barreau d’Arras ; ils sont 94 en 1788 ! L’activité du conseil d’Artois nous est en partie étrangère, en raison de l’incendie du 5 juillet 1915 qui a ravagé le fonds, entré en 1837 au palais Saint-Vaast : 700 des 797 articles qui le composaient ont ainsi disparu. Parmi ces derniers, on compte malheureusement les séries d’ordonnances et de jugements. Ainsi, ces quelques pièces entrées aux Archives départementales en 2019 tentent à leur manière de combler un peu cette mémoire volée par les flammes.

Dans cette affaire, Maximilien de Robespierre travaille en collaboration avec son confrère Charles-François-Joseph Blanquart, qui a prêté serment au conseil le 4 mai 1775 et est l’un des ténors du barreau artésien. Martin-Joseph Boilly est le procureur chargé de s’occuper de toute la procédure judiciaire. Au conseil d’Artois, le plaignant qui remet sa cause entre les mains d’un avocat, doit en effet aussi obligatoirement constituer procureur.

Robespierre est notamment devenu célèbre grâce à ses plaidoiries dans les affaires du paratonnerre du sieur de Vissery, l’opposant aux échevins de la ville de Saint-Omer, et Deteuf, qui le confronte à la puissante abbaye bénédictine d’Anchin. Toutefois, un avocat doit pouvoir vivre de son art. Entre 1782 et 1789, on dénombre sa participation à environ 176 audiences et 135 affaires plaidées. Ces requêtes permettent alors de dévoiler une partie méconnue de son activité, lui permettant de gagner 21 livres et 10 sous. Cette affaire n’est, effectivement, pas destinée à sortir de l’enceinte du conseil provincial.

Une simple affaire de droits de chasse

Rappelons maintenant l’affaire qui oppose le comte Léon Eugène Louis de Maulde, marquis de la Buissière, défendu par Blanquart et Robespierre, à Jean-Baptiste Joseph Watelier. Détenteur du fief d’Haillicourt, hérité de sa mère, Watelier est accusé par le comte de venir chasser à plusieurs reprises, avec chien et fusil, sur ses terres de la Buissière comme s’il étoit le maître absolu .

Dans les trois requêtes successives, produites entre octobre 1787 et février de l’année suivante, Robespierre expose les faits et développe ses arguments pour défendre les privilèges de son client avec les seuls mots d’un juriste scrupuleux, sans saillie particulière. On ne retrouve aucune vivacité dans ses attaques, ni dramatisation des enjeux, ni critique de la loi, comme il a pu le faire dans ses plaidoiries les plus connues. Il s’agit là d’un document écrit, qui n’est pas destiné à être lu devant un auditoire qu’il faut séduire. Ici, il s’adresse simplement aux juges en s’appuyant sur les règlements et coutumes locales.

Robespierre demande ainsi à la cour de maintenir le comte de Maulde dans le droit de chasser seul dans l’étendue de sa terre et seigneurie de la Buissière . Sous l’Ancien Régime, la chasse demeure un privilège seigneurial.

Dessin couleur montrant un chasseur dans un champ.

Archives départementales du Pas-de-Calais, CPL A 17/2.

Le 10 décembre 1787, Robespierre indique ainsi que le sieur Watelier prétend avoir eu le droit de chasser sur la terre de la Buissière, parce qu’il auroit une seigneurie vicomtière qui s’étendroit dans ce territoire . Une seigneurie vicomtière, ou fief vicomtier, est une particularité locale : elle désigne, en Flandre et en Artois, un fief non noble ou bourgeois, mais ayant tout de même moyenne justice. Or, comme l’indique la coutume générale d’Artois, lorsqu’il y a plusieurs seigneurs, même fonciers, il faut les cantonner ; et en attendant, établir le parcours entr’eux .

Robespierre précise également que, pour chasser, le domaine du seigneur principal doit excéder d’un tiers ceux des autres seigneurs locaux ; ce qu’il entend prouver par la remise d’une déclaration succincte des terres, authentifiée par le bailli et les échevins du marquisat. Jean-Baptiste Watelier s’efforce en sens inverse de démontrer que lui-même comme ses ancêtres ont jusqu’à présent profité du plaisir de la chasse sans que le seigneur de la Buissière ait fait à ce sujet aucune plainte  ; puis – en transmettant le dénombrement de ses propres biens – que ce dernier ne possède pas autant de terres qu’annoncé, motivant la troisième intervention de Robespierre.

Dans cette requête du 9 février 1788, l’avocat veut décrédibiliser les allégations de l’adversaire : Est-ce là une preuve bien satisfaisante ! On ne le croit pas, quoiqu’il en soit  ou plus loin Au reste toute cette énumération que le s. Watelier a faite à sa manière des différentes seigneuries qu’il prétend exister dans ce lieu est plein d’inexactitude et de fictions ; il crée partout des mouvances ou des domaines à son gré . Robespierre et son client renoncent à demander l’établissement de dénombrements seigneuriaux à la cour, procédure longue et couteuse : le comte de Maulde croit devoir épargner cette peine à lui-même et cette dépense à son adversaire ; parce que cette preuve est déjà faite. Elle existe dans les principes et dans les dispositions des loix qui veulent que tout ce qui n’est point prouvé appartenir à un autre que le seigneur principal soit présumé appartenir à ce dernier .

Lors de l’audience du 7 mai 1788, et contrairement à ses souhaits, le comte de Maulde se voit tenu de donner à communication l’ensemble de ses titres pour examen contradictoire. Ils sont déposés chez Me Jean-Baptiste Brasier, notaire à Arras, pour une quinzaine de jours en juillet. Quoiqu’il en soit, nos informations s’interrompent symboliquement au lendemain de l’abolition des privilèges par décision de l’Assemblée constituante du 4 août 1789 : le 5, en effet, Me Brasier restitue enfin au comte de Maulde ses papiers, restés jusque-là en sa possession à destination des défendeurs. Le comte décède le 24 juillet 1793 à bord du brick américain la Mary, en se rendant à Philadelphie pour tenter d’échapper au massacre perpétré au Cap-Français, à Saint-Domingue.

Ces présents documents ne rapportent qu’une affaire somme toute banale, mais c’est là que réside son intérêt. Elle diffère en effet des causes défendues dans les mémoires judiciaires imprimés de Robespierre. Le quotidien de l’avocat n’est-il pas aussi fait de défense ordinaire de causes ordinaires pour des clients qui ne le sont pas toujours ?

This is a title
Copyright Légende Télécharger la photo

Sources

  • Brouillons de trois requêtes rédigées par Maximilien de Robespierre, avocat au Conseil d'Artois, concernant une affaire opposant le comte de Maulde, marquis de la Buissière à Jean-Baptiste Watelier, seigneur vicomtier, à propos d'un droit de chasse, 1787 (25 octobre, 10 décembre), 1788 (9 février). Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 2614.
  • Chartrier de Labuissière qui rassemble des papiers de la famille de Maulte, du XVe au début du XIXe siècle. Archives départementales du Pas-de-Calais, 10 J.

Pour aller plus loin

  • T. VERMEUELEN, "Trois requêtes de l'avocat Robespierre dans le procès du comte de Maulde (1787-1788)", Œuvres de Maximilien Robespierre. Tome XII, Paris, Société des études robespierristes, 2022, pp. 265-277, Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 8360 ;
  • H. LEUWERS, Robespierre, Paris, Fayard, 2014, Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7553 ;
  • P. SUEUR, Le conseil provincial d'Artois (1640-1790). Une cour provinciale à la recherche de sa souveraineté, volumes 1 et 2, Arras, Commission départementale des monuments historiques du Pas-de-Calais, 1978-1982, Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 2226/1-2 ;
  • A. MAILLART, Coutumes générales d’Artois, Paris, Jean Rouy, 1739, Archives départementales du Pas-de-Calais, BHD 253.