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L’affaire du paratonnerre de Saint-Omer

Nous le disions avant-hier, M. Franklin et moi, le jugement de ces messieurs est une pièce rare et qui mérite d’être conservée. On aura de la peine à croire dans la suite qu’à cinquante lieues de la capitale et à la fin du XVIIIe siècle des magistrats […] aient pu rendre une pareille sentence peut-on lire dans la correspondance de Jean-Baptiste Le Roy du 9 novembre 1782.

Le sujet de son étonnement est en effet resté célèbre dans l’histoire : il s’agit de la curieuse affaire du paratonnerre de Saint-Omer qui fit grand bruit en Europe dans les années 1780.

En plus de mettre en scène de célèbres personnages tels que Benjamin Franklin ou Maximilien de Robespierre, cette histoire symbolise la lente et constante lutte des sciences contre l’obscurantisme, alors même que le siècle des Lumières touche à sa fin.

Aquarelle montrant le portrait en pied d'un homme perruqué se tenant de profil.

Portrait en pied de Maximilien de Robespierre. Aquarelle et gravure sur cuivre, E. Monnin. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 472/155.

L’étrange Monsieur de Vissery et son paratonnerre

Charles-Dominique de Vissery de Bois-Vallé, avocat de son état, est également féru de sciences. S’intéressant à divers sujets ayant trait à la physique, ce "Géo Trouvetou" se targue d’avoir inventé un moyen de conserver l’eau douce incorruptible un an et plus , de faire respirer à un plongeur au fond de l’eau un air frais et fortifiant ou encore d’ enlever avec facilité des gros fardeaux .

En mai 1780, après avoir étudié les travaux de Benjamin Franklin, il décide d’installer un paratonnerre sur son domicile situé rue du Marché-aux-Herbes à Saint-Omer. Cet étrange objet, premier du genre dans l’Audomarois, fascine et inquiète les braves gens de la cité.

Une voisine apeurée, accompagnée de sept à huit riverains, adresse alors une requête aux échevins de Saint-Omer, appelant leur surveillance sur la dangereuse construction désignée sous le nom de paratonnerre, appareil qui, en attirant la foudre, devait nécessairement la faire tomber sur la ville .

L’expéditive justice échevinale

Le 14 juin 1780, les échevins prononcent le verdict suivant :

Sçavoir faisons […] que cette expérience physique que veut faire le sieur Vyssery est dangereuse en elle-même ; qu’elle jette l’alarme dans tout le voisinage avec d’autant plus de raison que, le sieur de Vyssery pouvant n’être pas grand physicien, il peut aussi s’être trompé dans les dimensions de sa machine ; d’où il résulterait les plus grands inconvénients ; que différents physiciens même, tels que le fameux Bernouily et autres, ont péri par l’effet de la foudre, en faisant semblables expériences, et que le sieur Vyssery pourrait faire tomber le feu du ciel sur son voisinage […]

Nous avons ordonné audit sieur Vyssery de supprimer la machine électrique qu’il a fait construire et dont il s’agit […]

Archives départementales du Pas-de-Calais, 15 B 140 (en mauvais état, non consultable).

Gravure noir et blanc montrant un groupe de personnes formant un début d'émeute devant une maison.

"Une émeute à Saint-Omer, à propos de l’établissement d’un paratonnerre sur la maison de Visseri de Boisvallé", Louis Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.

Vissery ne se satisfait pas de cette décision et présente à son tour une requête le 16 juin aux échevins, qui maintiennent leur décision.

L’annonce du jugement répand la terreur dans Saint-Omer ; les habitants se figurent que cet objet démoniaque menace réellement la sûreté de la cité et un début d’émeute est maîtrisé par la maréchaussée. Face à cette menace, Vissery démonte son paratonnerre, mais loin de s’avouer vaincu, il porte l’affaire devant le Conseil provincial d’Artois le 23 juin.

La défense se met en place

Vissery se rapproche alors de sociétés scientifiques pour prouver le bien-fondé de son entreprise. Il envoie son paratonnerre à l’Académie des sciences de Dijon, accompagné d’un procès-verbal sur les conditions de son installation : cette société le déclare conforme aux prescriptions en usage le 18 août 1780.

En parallèle, il engage Antoine-Joseph Buissart, avocat et scientifique comme lui. Membre des académies d’Arras et de Dijon, cet esprit éclairé siège également à la Société de Médecine et au Muséum de Paris. Il rédige à l’attention de Monsieur de Vissery un mémoire sur l’utilité d’un tel système, s’appuyant sur les travaux de grands physiciens de l’époque et présentant de nombreux exemples à l’appui. Son exposé reçoit un accueil favorable d’éminents spécialistes et de célèbres jurisconsultes (Target, Henry, Polverel et Lacretelle).

Plusieurs exemplaires manuscrits de cet ouvrage, annotés et corrigés, sont consultables aux archives départementales sous la cote 4 J 120 (collection Victor Barbier). Buissart conclut sur ces mots :

Le conducteur électrique, loin d’attirer le tonnerre, est au contraire un préservatif, non seulement pour la maison sur laquelle il est établi, mais encore pour celles qui sont dans le voisinage. Conséquemment, le jugement du Magistrat de Saint-Omer est irrégulier au fond.

Archives départementales du Pas-de-Calais, BARBIERB 1697.

Les débuts d’un jeune avocat prometteur

Buissart oppose donc à la décision des échevins les principes de la physique et de la science. Pour l’assister, il introduit un jeune avocat arrageois de vingt-quatre ans, inscrit au barreau depuis 1781 seulement, Maximilien de Robespierre.

Article imprimé sur lequel on lit : "Le rappel : New-York, 24 septembre. La Bibliothèque de l'Université de la Pensylvanie vient d'acquérir une collection de cinq cents manuscrits provenant de la succession de Benjamin Franklin. Entre autres pièces très précieuses pour l'histoire, se trouve une lettre autographe de Maximilien Robespierre, écrite à Arras en 1783. Robespierre, qui était alors avocat dans sa ville natale, annonce à Franklin l'envoi du dossier d'un procès dans lequel il a défendu devant le tribunal d'Artois l'usage du paratonnerre. La partie daverse avait obtenu un jugement de premier instance qui interdisait la pose d'un paratonnerre. Par sa plaidoirie, Robespierre a fait connaître en France l'utilité de l'invention de Franklin".

Robespierre et Franklin. [Coupure de presse de 1903 signalant que la bibliothèque de l'université de Pensylvanie vient d'acquérir 500 manuscrits provenant de la succession de Benjamin Franklin, parmi lesquels une lettre autographe de Robespierre à Franklin daté d'Arras, 1783, relative à l'affaire du paratonnerre]. Archives départementales du Pas-de-Calais, BARBIERC 1823.

Cette procédure lance la carrière de l’Incorruptible et le fait connaître au grand public. Durant ses plaidoyers, il démontre ses talents d’orateur déjà empreints de la fougue qui le caractérise et ridiculise l’ignorance des juges audomarois. La presse nationale et internationale se passionne pour l’affaire. Le triomphe de Robespierre est si grand qu’on peut lire dans Le Mercure de France du 21 juin 1783 :

M. de Robespierre, jeune avocat d’un mérite rare, a déployé dans cette affaire, qui était la cause des sciences et des arts, une éloquence et une sagacité qui donnent la plus haute idée de ses connaissances.

Le Conseil provincial d’Artois rend son verdict le 31 mai 1783 et, sans surprise, casse le jugement des échevins. Dans une lettre adressée à Buissart le 8 juin 1783, Vissery écrit :

Nous partageons la gloire à trois : vous, Monsieur, par votre Mémoire bien écris, Monsieur l’orateur par son plaidoyer éloquent et moi par le gain d’une cause qui n’est plus problématique.

Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 J 120.

Mort du paratonnerre malgré le testament atypique

Vissery réinstalle son paratonnerre le 31 juillet 1783, mais ne profite guère de son triomphe puisqu’il s’éteint le 9 juillet 1784. Toutefois, pour perpétuer sa mémoire, il avait pris de curieuses dispositions testamentaires qui obligeaient ses héritiers à conserver et entretenir cet objet de discorde, sous peine d’une amende perpétuelle à l’hôpital général.

Ces derniers, embarrassés, vendent tout de même la maison (et la clause testamentaire) pour un prix inférieur à sa valeur. Le nouvel acquéreur, quant à lui, cherche un moyen de contourner l’obligation. Il demande une nouvelle expertise à l’échevinage qui s’empresse d’accéder à sa demande. Deux "experts" à leur solde concluent que l’érection du malheureux objet déroge aux usages en règle et qu’il ne peut subsister dans l’état où il se trouve.

C’est ainsi que le désormais célèbre paratonnerre est une fois de plus (et définitivement) démonté.

Pour conclure, citons cette épigraphe tirée d’une "pièce fugitive" de l’académicien Antoine-Marin Le Mierre ("À M. le baron de Scheffer, sénateur de Suède, sur l’édit de proscription qu’il a fait rendre contre les ustensiles de cuivre", Almanach des Muses, 1769, p. 91) et transposée sur l’édition de 1783 des Plaidoyers pour le sieur de Vissery de Bois-Valé de Robespierre :

L’usage appuyé sur le temps
Et les préjugés indociles
Ne se retire qu’à pas lents
Devant les vérités utiles.

Pour aller plus loin

  • M. de ROBESPIERRE, "Plaidoyers pour le Sieur de Vissery de Bois-Valé, Appelant d’un Jugement des Échevins de Saint-Omer, qui avait ordonné la destruction d’un Par-à-Tonnerre élevé sur sa maison", Œuvres de Maximilien de Robespierre, tome II, p. 136-171, Phenix éditions, 2000. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 6242/2,
  • Curieux procès du paratonnerre de Saint-Omer (1780-1783), Le Droit commercial, Paris, 1863. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 722/7,
  • É. PAGART D’HERMANSART, Le paratonnerre de Saint-Omer en 1780. Le testament de M. de Vissery. La revanche des échevins, Saint-Omer, imprimerie et lithographie H. d’Homont, 1891. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 686/14,
  • C. VELLAY, "Robespierre et le procès du paratonnerre (1780-1784)", Annales révolutionnaires, 1909, p. 25-37 et 201-219,
  • P. HELIOT, "Chronique d’histoire régionale. L’affaire du paratonnerre de Saint-Omer", Le Télégramme du Pas-de-Calais et de la Somme [éd. d'Arras], 28 janvier 1933. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 338/37,
  • J. RISKIN, “The Lawyer and the Lightning Rod”, Science in Context, n° 12, 1999, p. 61-99,
  • H. LEUWERS, Robespierre, Paris, Fayard, 2014, p. 43-50.

Commentaires (1)

DUQUESNE Arsène

L'apport de Robespierre tient à deux aspects :
- scientifique d'abord: il met en forme la documentation de Maître Buissart, la complète et fait l'impasse sur des arguments risquant d'être contreproductifs. Son intervention relève d'un empirisme préscientifique traité selon des exigences qui poussent "l'expérience jusqu'à démonstration" ;
- judiciaire: contrairement au "système de jurisprudence" en vigueur et contre l'avis des jurisconsultes et de quatre avocats d'Arras consultés par Maître Buissart, il réclame et obtient un jugement immédiat permettant sans attendre le rétablissement du paratonnerre proscrit.

Arsène Duquesne - Les amis de Robespierre

Le 30 décembre 2020 à 22h14