Le 29 mars 1913, au petit matin, des habitants du comté de Northumberland (au nord de l’Angleterre) remarquent des fusées de détresse tirées du large, à quelques encablures des côtes d’Howick et de Craster. Rapidement, les secours s’organisent et des embarcations se dirigent vers le bâtiment en détresse. Il s’agit du Tadorne, un chalutier à vapeur boulonnais en route vers l’Islande. Son naufrage est relaté dans un rapport de mer déposé au greffe du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer le 2 avril 1913 (consultable sous la cote 6 U 2/742).
Qu’est-ce qu’un rapport de mer ?
Les rapports de mer fournissent de précieuses indications sur les navires ayant été confrontés à des événements extraordinaires (accident, panne, naufrage, etc.).
Dans les 24 heures suivant son arrivée, le capitaine doit en effet détailler son voyage dans un rapport transmis au président du tribunal de commerce (ou, à défaut, au juge de paix du canton, qui doit l’envoyer ensuite au tribunal de commerce voisin). À l’étranger, ce rapport est établi devant le consul (ordonnance de 1833).
En cas de naufrage, il précise le lieu et les causes de l’accident et relate en termes précis les circonstances entourant le sinistre.
Le rapport de mer du 2 avril 1913 : qu’est-il arrivé au Tadorne ?
Dans le registre aux rapports de mer des capitaines de navires
du 30 novembre 1912 au 27 novembre 1913, on trouve le témoignage de Victor Parisis, patron de pêche, commandant en second à bord du chalutier Tadorne, à l’occasion de sa comparution devant le juge Manfait.
Il explique avoir embarqué sur le Tadorne le 27 mars, en compagnie de vingt-neuf autres membres de l’équipage. Sous le commandement du capitaine Eugène Fortin, le vaisseau quitte Boulogne-sur-Mer pour la pêche à la morue en Islande. Mais les conditions climatiques compliquent le voyage. Plusieurs fois, le vapeur s’éloigne de son itinéraire à cause de la brume. Parisis alerte Fortin et l’exhorte à la prudence, comme en témoigne son récit :
Le vapeur marchait depuis Boulogne à toute vitesse ; vers dix heures du soir, j’étais dans la passerelle avec l’officier de quart et le capitaine. Je fis remarquer au capitaine combien nous étions à terre. Il me répondit que des navires étaient plus à terre que nous et qu’il voulait prendre connaissance du feu de Kokey avant de prendre le large, je répliquai que cette route était fort dangereuse.
À 4 heures du matin, le 29 mars, des marins donnent l’alerte :
[…] Les hommes de barre crièrent : la mer brise devant. […] Le navire était crevé dans son milieu et […] la mer montant balaya le pont presqu’aussitôt.
Des fusées d’alerte sont immédiatement lancées vers la côte. Trois heures plus tard et après bien des difficultés, les premiers naufragés grimpent dans les canots de sauvetage anglais. Rapidement débarqués, ils sont pris en charge par les villageois qui leur prodiguent les premiers soins.
Hélas, cinq hommes n’ont pu être sauvés : deux ont tenté de gagner le rivage à la nage et se sont noyés, deux autres, qui s’étaient attachés au mât, sont morts de froid. Les circonstances de la mort du cinquième ne sont pas renseignées.
Le lundi 31 mars, les autorités britanniques ouvrent une enquête au village de Copley. Dans son verdict, le jury conclut à la noyade accidentelle de :
- Pierre Archenoux (de Cancale), trancheur,
- Louis Duquesnoy (de Boulogne-sur-Mer), matelot,
- Émile Duval-Gournay (du Portel), mousse,
- Jean Guilbert (de Cancale), saleur,
- François Nouvel (de Cancale), matelot.
Les corps des cinq malheureux sont inhumés au Saint Michael and All Angels Churchyard à Howick. Les autres marins sont quant à eux rapatriés à Boulogne où ils débarquent le 1er avril.
Parisis conclut ainsi son rapport :
J’attribue la cause de ce naufrage à l’imprudence commise par le capitaine Fortin qui n’a tenu aucun compte de mes conseils, de mes observations et de celles du deuxième officier, et de certains hommes de l’équipage.
En février 2013, le navire de guerre français Primauguet fait escale à Newcastle. Son équipage participe à une commémoration à la mémoire des marins anglais et français morts lors du naufrage du Tadorne mais aussi de la Bastiaise en 1940 au large de Boulmer et de Middlesbrough.
Le coffre du marin
Le 3 janvier 1974, l’administrateur en chef des affaires maritimes du quartier de Boulogne-sur-Mer autorise l’exploitation de l’épave par une compagnie anglaise privée. On ne sait si celle-ci mit en œuvre ce projet, mais dans l’affirmative, l’extraction a été, semble-t-il, partielle, car la chaudière du Tadorne est toujours visible aujourd’hui à la surface de l’eau.
L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais les archives révèlent parfois de jolies découvertes. Presque cent ans après le naufrage du Tadorne, un libraire breton trouve dans une cave un coffre oublié, ayant appartenu à Pierre Archenoux, qui avait été expédié à la famille du défunt après qu’il eut été retrouvé échoué sur la plage. De cette découverte émouvante, Loïc Josse a écrit un livre pour enfant, Le coffre du marin.
Comme aime à nous le rappeler notre public en salle de lecture, le croisement entre archives publiques et privées donne souvent lieu à une reconstitution émouvante de faits historiques, plus subjective, exaltant l’imagination, et qui explique tout l’intérêt que l’on porte au feuilletage de ces vieilles pages jaunies, retraçant la vie des hommes et des femmes d’autrefois.