Archives - Pas-de-Calais le Département
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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

En raison d’une panne du chauffage du Centre Georges-Besnier, sa salle de lecture (Arras) ferme jusqu’à nouvel ordre. Pour toute recherche administrative urgente sur les fonds conservés sur le site concerné (archives contemporaines), nous vous invitons à nous contacter pour une communication par correspondance ou, en cas de nécessité pratique, pour organiser une session de consultation en salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois des documents nécessaires à votre recherche.

Nous vous prions de nous excuser pour la gêne occasionnée et vous remercions par avance de votre compréhension.

De l’utilisation du carnet B

Surveillance des antimilitaristes à la veille de la mobilisation

Le 1er août 1914, face à la mobilisation générale, le peuple français fait bloc derrière le gouvernement, y compris ceux qui revendiquaient jusque là une étiquette "pacifiste". La réaction des citoyens est en effet quasi unanime : entre tristesse, stupeur ou enthousiasme, tous se rangent sous les drapeaux pour accomplir leur devoir national.

Pourtant, quelques voix s’élèvent contre la guerre, mais les autorités suivent de très près les perturbateurs, prenant au sérieux la menace qu’ils seraient susceptibles de représenter lors de la mobilisation.

Le carnet B

Liste des antimilitaristes inscrits au carnet B résidant dans la circonscription du commissariat spécial de police de Lens le 25 juillet 1914. Bacqueville, Émile-Léon, né le 15 juillet 1882 à Arras, terrassier, domicilié à Sallaumines (rue de Douai), inscrit à Arras. Beudot, Émile, né le 30 juin 1880 à Harnes, mineur, domicilié à Harnes. Broutchoux, Benoît, né le 7 novembre 1879 à Essertenne (Saône-et-Loire), secrétaire de l’Union des syndicats ouvriers du Pas-de-Calais, domicilié à Lens. Coquidé, Édouard, né le 20 novembre 1879 à Arras, mineur, domicilié à Lens (88, rue de Lille), inscrit à Arras. Corroenne, Edmond, né le 22 juillet 1881 à Liévin, mineur, domicilié à Hénin-Liétard (cité Armand-Voisin n° 30). Dupuy, Henri, né le 26 avril 1876 à Béthune, mineur, domicilié à Avion, rue Voltaire. Falempin, Georges, né le 13 août 1875 à Gaudiempré (Pas-de-Calais), marchand ambulant, domicilié à Fouquières-lès-Lens. Godefroy, Henri-Joseph, né le 22 mars 1881 à Arras, terrassier, domicilié à Lens (15, rue Basse), inscrit à Arras. Lacour (dit Delacour), Pierre-François, né le 23 décembre 1878 à Meurchin (Pas-de-Calais), ancien ouvrier mineur (marchand de chiffons), domicilié à Fouquières-lès-Lens. Lebrun, Jules, né le 6 mai 1879 à Guinguamp (Côtes-du-Nord), mineur, domicilié à Lens. Lefebvre Émile, né le 15 janvier 1873 à Vermelles (Pas-de-Calais), mineur, domicilié à Fouquières-lès-Lens (cité du n° 7-240). Locqueueux, Jean-Baptiste, né le 11 mai 1875 à Onnaing (Nord), mineur, domicilié à Fouquières-lès-Lens (au Vert Tilleul). Simon (dit Ricq), Pierre, né le 6 avril 1868 à Dorignies (Nord), délégué mineur fosse n° 3 des mines de Courrières, domicilié à Méricourt-Village.

Liste des antimilitaristes inscrits au carnet B résidant dans la circonscription du commissariat spécial de police de Lens, le 29 juillet 1914. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 227.

Créé en 1886 par le général Boulanger et géré par les préfectures et les gendarmeries, le carnet B est à l’origine destiné à recenser les individus soupçonnés d’espionnage. Mais, dans les années 1910, une nouvelle catégorie d’inscrits fait son apparition : les antimilitaristes, portés par une idéologie politique, et capables de saboter une mobilisation. Le carnet B, qui intéressait jusque là les départements frontaliers, devient alors un sujet de préoccupation pour les autorités de l’ensemble du territoire. En 1914, 2 400 à 2 500 noms sont inscrits, dont 1 771 pour une raison autre que l’espionnage.

Par l’arrêté préfectoral du 14 février 1914 (conservé sous la cote 1 Z 227), sont considérés comme dangereux tous les individus dont l’attitude et les agissements sont de nature à permettre de les considérer comme susceptibles d’entraver le bon fonctionnement de la mobilisation par le sabotage ou la destruction du matériel de la télégraphie, des chemins de fer […] ou de fomenter des désordres au cours de la période de la mobilisation .

Les services de police surveillent plus particulièrement :

  • les socialistes appartenant à certains courants extrêmes, tels les hervéistes qui recommandent la grève générale en réponse à la déclaration de guerre. Mais dissidents au sein même de leur parti, ils ne sont que peu nombreux ;
  • les syndicats, et plus particulièrement la Confédération générale du travail. Ces militants paraissent plus inquiétants aux yeux des autorités. Depuis dix ans, dans toute l’Europe, la CGT confirme ses positions contre la guerre et les moyens de s’y opposer. Au congrès de Marseille en 1908, 880 voix contre 421 votent ainsi en faveur d’une grève générale révolutionnaire en cas d’appel à la mobilisation ;
  • les anarchistes qui, par nature, sont antimilitaristes et opposés à la guerre.

Broutchoux et l’antimilitarisme dans le Pas-de-Calais

Commissariat spécial de Lens. État nominatif des individus signalés comme se livrant à la propagande antimilitariste dans la partie des houillères du Pas-de-Calais qui forme le secteur affecté au  commissariat spécial de Lens. État civil : Broutchoux Benoît, domicilié à Lens, terrassier. Né le 7 novembre 1879 à Essertenne (Saône-et-Loire), fils de Sébastien et de Lazareth Claire. Célibataire, vit en concubinage. Renseignements : Peut, à juste titre, être considéré comme l’importateur, dans le bassin houiller du Pas-de-Calais, entre autres dans la région de Lens, des doctrines antipatriotiques et antimilitaristes. Préconise dans son journal « L’Action syndicale » et dans les réunions publiques sur la Patrie et sur l’Armée, les théories qui sont particulières à Monsieur Gustave Hervé, avec lequel, d’ailleurs, il est en relations directes. Colportait naguère encore le journal « L’Action syndicale » qu’il s’est efforcé de propager dans la région de Lens. C’est sur son instigation et par son intermédiaire que Monsieur Gustave Hervé vint à Lens, le 24 décembre 1905, y faire une conférence publique. Est le signataire d’une préface qui figure en tête d’un opuscule du libertaire antimilitariste André Lorulot ayant pour titre « L’Idole Patrie et ses conséquences. Le mensonge patriotique. L’Oppression militaire. L’Action antimilitariste ». Est inscrit comme anarchiste. État civil : Dumoulin Georges-Prosper, domicilié à Harnes, manœuvre aux mines. Né le 25 novembre 1877 à Ardres (Pas-de-Calais), fils de Jean-Louis et de Tirard Marie. Célibataire, vit en concubinage. Renseignements : Secrétaire général de la Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais, groupement affilié à la Confédération générale du travail. Alter ego de l’anarchiste Broutchoux. Révolutionnaire très fougueux et propagandiste très militant des théories antimilitaristes parmi les travailleurs des houillères de la région de Lens. Le parquet de Bourges eut, en octobre 1906, au moment du départ de la classe, son attention portée sur un article très virulent émanant de lui, ayant pour titre : « À ceux qui reviennent, à ceux qui s’en vont ». Cet article inséré dans le journal « L’Action syndicale » de Lens, portant la date du dimanche 15 septembre 1906  fut reproduit par le journal Le Combat, imprimé  à Bourges. Collabore à « L’Action syndicale » et est un  des principaux dirigeants des groupes libertaires  et révolutionnaires de la région de Lens.  D’une intelligence assez développée est à surveiller très étroitement.

État nominatif des individus signalés comme se livrant à la propagande antimilitariste dans la partie des houillères du Pas-de-Calais qui forme le secteur affecté au commissariat spécial de Lens. Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 Z 227.

Dans le bassin minier du Pas-de-Calais aux rudes traditions ouvrières, les syndicats révolutionnaires font l’objet d’une surveillance toute particulière. Car avant 1914, l’antimilitarisme est loin d’être un courant marginal animé par quelques militants isolés. Au contraire, il se trouve au cœur de la pensée politique du mouvement ouvrier. 

Le 2 août 1914, on compte seize inscrits au carnet B, dont la plupart sont des mineurs ou d’anciens mineurs, tous militants de l’ex-Fédération syndicale des mineurs du Pas-de-Calais (créée en 1902 et fusionnée en 1910 avec le Syndicat des mineurs) ou de groupes assimilés. Rassemblés derrière Benoît Broutchoux, ils représentent la tendance anarchiste de la CGT.

Il faut dire que Broutchoux est charismatique et défend chaudement ses idées. Opposé au "vieux syndicat" incarné par les députés socialistes réformistes Émile Basly et Arthur Lamendin, il fait émerger un "jeune syndicat" qui conduit le mouvement de grève enclenché après la catastrophe de Courrières. La philosophie de ce courant anarcho-syndicaliste, portée par L’Action syndicale, leur organe de presse, se résume en quatre adjectifs :

anticléricale, antimilitaire, anticapitaliste et antifumiste .

En 1914, Broutchoux est secrétaire de l’union départementale CGT du Pas-de-Calais, mais il continue d’écrire pour la presse.

Des protestations vite étouffées

Benoît Broutchoux.

Le 2 août 1914, il signe un article intitulé "Contre la guerre" dans L’Avant-garde, journal syndicaliste révolutionnaire qu’il a lancé en 1912. Il y invite les syndicats à faire de l’agitation contre la guerre et à organiser des rassemblements de protestation.

Car plusieurs meetings et manifestations ont déjà eu lieu dans le bassin minier : le 30 juillet, un cortège de 800 personnes parcourt Lens avant de se rendre à une conférence donnée par les orateurs du parti socialiste et des syndicats (sous la direction de Basly). Le lendemain, 700 personnes défilent dans les rues d’Hénin-Liétard. Mais le 1er août, la manifestation prévue à Auchel est annulée in extremis sur les ordres du sous-préfet de Béthune.

Le même jour, la mobilisation est décrétée. Au lendemain de l’assassinat de Jaurès, le ministre de l’Intérieur, Louis Malvy, est rassuré par l’attitude des syndicats face à l’imminence de la guerre. Il envoie alors un télégramme à tous les préfets, leur demandant de ne pas inquiéter les syndicalistes portés sur le carnet B. Mais certaines autorités "zélées" avaient pris des mesures préventives, comme dans le Nord et le Pas-de-Calais (arrestation à Arras de sept personnes, dont Roger Salengro, alors conscrit. Ils seront tous libérés le 24 août). Broutchoux est incarcéré à la prison de Béthune pour "association de malfaiteurs", avant d’être relâché le 2 octobre sur ordre du préfet du Nord. Mobilisé, il est incorporé au 59e territorial et envoyé sur le front d’Alsace.

Quant au carnet B, son utilisation sera suspendue durant toute la durée du conflit.

Pour aller plus loin

  • J.-J. BECKER, Le carnet B. Les pouvoirs publics et l'antimilitarisme avant la guerre de 1914éd. Klincksieck, 1973. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 6084.
  • J. COULARDEAU, "Broutchoux et le jeune Syndicat des mineurs. Picard, nation et classe ouvrière", Mouvement ouvrier et République. Colloque d'Arras (octobre 1992), éd. Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution, 1993. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 5095.
  • N. INGRAM, "Le pacifisme de guerre : refus de l'Union sacrée et de la synthèse républicaine ?", La Grande Guerre. Pratiques et expériences. Actes du colloque organisé à Craonne et Soissons par la Fédération des sociétés d'histoire et d'archéologie de l'Aisne les 12 et 13 novembre 2004, éd. Privat, 2005. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7510.
  • G. RIBAUCOURT, Broutchoux, la Fédération syndicale des ouvriers mineurs du Pas-de-Calais et L'Action syndicale (1902-1914). Syndicalisme révolutionnaire et bassin minier du Pas-de-Calais, 1978. Archives départementales du Pas-de-Calais, Ms 381.
  • Site de ressources sur Benoît Broutchoux.