Archives - Pas-de-Calais le Département
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Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre

En raison d’une panne du chauffage du Centre Georges-Besnier, sa salle de lecture (Arras) ferme jusqu’à nouvel ordre. Pour toute recherche administrative urgente sur les fonds conservés sur le site concerné (archives contemporaines), nous vous invitons à nous contacter pour une communication par correspondance ou, en cas de nécessité pratique, pour organiser une session de consultation en salle de lecture du Centre Mahaut-d’Artois des documents nécessaires à votre recherche.

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Le Portel, théâtre de la querelle des inventaires

Le 9 décembre 1905,  la loi de séparation des Églises et de l'État est votée, entraînant l'inventaire des 70 000 édifices religieux du pays. Cette mesure suscite une forte résistance dans certaines localités catholiques, comme au Portel, près de Boulogne-sur-Mer, sous l'impulsion de l'énergique abbé Dusart.

L'insurrection du Portel

Cadre ovale où se trouve une paire de menottes et l'inscription "Pro Christo - Pro Ecclesia - Le Portel - 19 février 1906".

Reliquaire en bois contenant une paire de menottes en métal ayant servi à entraver Jean-Marie Dusart, curé du Portel, lors de son opposition aux inventaires des biens de l'église, prévus par la loi de séparation des Églises et de l'État. (1906, 19 février). Archives départementales du Pas-de-Calais, 1 J 2534.

Tout commence le dimanche 11 février 1906, à 10 h du matin : lors de son sermon, le desservant du Portel, Jean-Marie Dusart, exhorte ses fidèles à protester et à défendre leur église contre les mesures iniques imposées par le gouvernement "républicain-socialiste". Ses intentions sont confirmées, le lundi 12 février, par le vote unanime du conseil de fabrique, protestant contre l'inventaire des biens de l'église paroissiale.

Soutenu par ses deux vicaires, Perret et Gailliot, l'abbé Dusart se met dès lors en tête de lutter corps et âme contre les mesures anticléricales. Le mercredi 14, les portes de l'église communale sont barricadées, sauf celle donnant accès à la sacristie, où est mis en place un contrôle (avec une demande de laissez-passer). Des cailloux, des bouteilles vides et des briques sont accumulés dans le clocher, dans l'optique de les jeter sur les forces de l'ordre. C'est à l'appel du tocsin que Dusart invite les hommes à venir en grand nombre dans l'église et les femmes à se rendre sur la place de la ville, pour y chanter des cantiques. Tout le monde est sur le pied de guerre, pour manifester contre l'opération d'inventaire prévu le jeudi 15 février ; certains hommes sont même armés de couteaux.

C'est ainsi que ce jour-là, à 8 h 30, le représentant des domaines se voit refuser l'entrée de l'église par Dusart qui l'attend sur le parvis, entouré d'une vingtaine de personnes. L'église est bondée. Le sous-préfet intervient en ordonnant au curé de se soumettre à la loi, mais sans succès. Les autorités sont contraintes de se retirer, sous les huées et les injures des cinq à six cents personnes qui se sont rendues sur la place et que la gendarmerie parvient difficilement à contenir. L'église est gardée nuit et jour par une centaine de paroissiens.

Le vendredi 16, le sous-préfet de Boulogne écrit : Je suis au milieu d'une atmosphère de nervosité et de tension excessive. Tout le monde à Boulogne ne parle que de ça  (15 V 1101).

Le samedi 17, au retour d'Équihen, une nouvelle opération d'inventaire est tentée, mais la foule, alertée par le tocsin, manifeste à nouveau son hostilité et accueille les agents de l'État par des injures (tas de salauds , vendus , traîtres , casseroles , ou encore sales inventorieurs ). Les agents sont obligés de quitter les lieux sous l'escorte des gendarmes.

Le dimanche 18, au cours de son sermon, l'abbé Dusart félicite ses ouailles de l'attitude énergique dont ils ont fait preuve durant la semaine.

Le lundi 19 février, tout bascule. À une heure du matin, la gendarmerie, soutenue par le bataillon de Boulogne, ainsi que le 8e régiment d'infanterie de Saint-Omer cernent l'église.
À 6 h 30, le sous-préfet mande Dusart pour connaître ses intentions, mais celui-ci refuse toujours d'obtempérer. Toute la matinée, la foule massée derrière le cordon de troupes ne cesse de manifester sa colère par des cris et des chants religieux.
À 15 h, le préfet du Pas-de-Calais arrive pour prendre la direction des opérations. Après les sommations légales, il fait forcer une porte latérale de l'édifice qui cède au bout d'une demi-heure de travail. Une fois dans l'église, il n'y a pas d'incident à déplorer, peut-être à cause du faible nombre de paroissiens présents (59 personnes, contre environ 400 les jours précédents).

Le meneur, l'abbé Dusart, est arrêté et l'inventaire peut enfin avoir lieu.

Des événements qui s’inscrivent dans la tourmente nationale

Votée le 9 décembre 1905 sous l'impulsion du socialiste Aristide Briand, afin de contribuer à la laïcisation du pays, la loi de séparation des Églises et de l'État met fin au régime du concordat de 1801.

Elle prévoit la disparition des établissements publics du culte, comme les fabriques paroissiales, et l'affectation des édifices religieux à des associations cultuelles. Pour ce faire, le 29 décembre, un décret est voté, décidant "l'inventaire descriptif et estimatif" des biens des églises. Celui-ci est très vite perçu comme un "préliminaire de spoliation".
Mais ce qui déclenche principalement l'ire des catholiques, c'est la circulaire de février 1906 qui permet aux agents chargés de l'inventaire de demander l'ouverture des tabernacles. Ces meubles, placés au-dessus de l'autel et contenant le ciboire, sont considérés comme particulièrement sacrés par les chrétiens.

Cette loi profanatrice entraîne des conflits un peu partout en France. Dans certaines communes, des affrontements, parfois violents, ont alors lieu entre les paroissiens et les forces de l'ordre. Ainsi, dans le village de Boeschepe, dans le Nord, un opposant à l'inventaire (Géry Ghysel) se fait même tuer par balle à l'intérieur de l'église. Cet incident, qui a lieu le 6 mars 1906, provoque la chute du gouvernement Rouvier. Mgr Lobbedey, vicaire général de Lille et futur évêque d'Arras, rend hommage à la victime en la comparant à un martyr, un héros, un témoin du Christ .

En ce mois de mars 1906, le ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau met toutefois fin à la querelle des inventaires par une circulaire invitant les préfets à suspendre les opérations dans le cas où elles devraient se faire par la force. À ce moment-là, cependant, la grande majorité des lieux de culte ont déjà été inventoriés.

Dans le Pas-de-Calais, les opérations d'inventaire sont connus grâce aux dossiers conservés en sous-série 15 V. Ils contiennent des rapports retraçant avec précision les manifestations, ainsi pour le Portel.

Le fougueux abbé Dusart

Fils d'un horloger natif d'Audresselles et d'Augustine Gournay, une Porteloise, Jean-Marie Dusart naît au Portel le 21 novembre 1846. Il est le troisième de quatre enfants. Après des études secondaires au collège Sainte-Austreberthe à Montreuil, puis à l'institution de Mgr Haffreingue à Boulogne-sur-Mer, il fréquente le grand séminaire d'Arras.

Photographie noir et blanc de l'ancienne église du Portel

"108. Le Portel. L'église." [1904-1914]. Archives départementales du Pas-de-Calais, 5 Fi 667/120.

Ordonné prêtre le 16 avril 1870, il est d'abord vicaire à Wimille, avant de l'être dans sa ville natale de 1872 à 1880, à la demande du curé, un parent, l'abbé Deltour. Ce jeune prêtre entreprenant dirige, de fait, la paroisse à la place du desservant, Jean-Baptiste Deltour. Au décès de ce dernier, en 1880, l'abbé Dusart devient curé en titre, non sans difficulté puisque des paroissiens hostiles à ses excès de zèle envoient à l'évêché une pétition pour demander la promotion d'un autre vicaire, l'abbé Billot.

Durant sa cure, il poursuit activement les travaux de l'église (vitraux, statues, etc.).
Violemment opposé à l'établissement d'une école laïque et gratuite par le conseil municipal, il fait édifier, grâce à la "part-Dieu", plusieurs écoles, dont celle des garçons, confiée aux Frères des Écoles chrétiennes. Il essaie de persuader les femmes de sa paroisse de retirer leurs enfants de l'école communale au profit de l'école congréganiste.
Il organise aussi des fêtes religieuses, comme des bénédictions de la mer. Et, d'une grande dévotion mariale, il institue les confréries de Notre-Dame-de-la-Mer et de Notre-Dame-du-Rosaire.

Conservateur et d'un caractère audacieux et emporté pour reprendre les mots du maire du Portel (lettre du 15 février 1879), il entretient des relations extrêmement tendues avec la municipalité radicale. Lors de ses sermons, il semble aimer semer la division dans la commune en excitant la population, comme lors de son opposition à l'organisation d'un bal du 14 juillet devant l'église.

Tous ces différends valent à Dusart d'être traduit en correctionnelle en 1891 pour attaque contre la République. Son traitement est supprimé du 15 décembre 1891 au 28 janvier 1895. L'évêché réussit en revanche à éviter son déplacement, malgré plusieurs sollicitations de l'administration. Les événements de 1905-1906 ne sont qu'une occasion de plus pour lui de s'opposer à République qu'il exècre. Après son coup d'éclat, le parti réactionnaire exerce alors sur lui une forte pression pour qu'il intente une action judiciaire contre le préfet, mais il y renonce. Il meurt un an après, le 3 février 1907, au Portel.

Le souvenir d'un "martyr"

Le document mis à l'honneur est un reliquaire en bois contenant la paire de menottes en métal qui a servi à entraver Jean-Marie Dusart, lors de son arrestation, dans l'après-midi du lundi 19 février 1906. Il y est inscrit "Pro Christo – Pro Ecclesia – Le Portel – 19 février 1906". Il a dû être réalisé par l'un des partisans de l'abbé du Portel, en souvenir du "martyre" qu'il a enduré le jour de l'inventaire des biens de son église.

Acquis lors d'une vente aux enchères à Marseille, le 23 juillet 2017, cet objet a intégré la sous-série 1 J dédiée aux pièces isolées et petits fonds d'origine privée (sous la cote 1 J 2534). Malheureusement, nous ignorons où il a été conservé durant le siècle dernier.

Pas véritablement un document d'archives au sens strict du terme, il peut être considéré comme une source ethnologique, qui porte la charge de toute la colère et de l'incompréhension ayant existé entre républicains et catholiques, à l’aube du XXe siècle. Les cicatrices de ce divorce entre l'Église et l'État ont d'ailleurs mis des années à se refermer.

Sources

  • Le Portel : sanction contre le desservant hostile au gouvernement ; pétition en sa faveur (1881) ; sermon hostile à l'école laïque par le vicaire (1900) ; élections municipales (tract du curé ; demande de sanction) ; les vocations au Portel (article de presse) ; attitude intransigeante du curé à l'égard des enfants ne fréquentant pas l'école libre (1901-1903). Archives départementales du Pas-de-Calais, 15 V 169.
  • Relation d'incidents qui se sont produits au Portel pendant les opérations d'inventaire (1906). Archives départementales du Pas-de-Calais, 15 V 1101.
  • Dix ans de lutte au Portel entre la municipalité et le curé : copieux dossier concernant l'attitude agressive du desservant, hostile au gouvernement, au maire, à l'école laïque, au progrès... (1876-1886). Archives départementales du Pas-de-Calais, 15 V 1279.

Pour aller plus loin

  • Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine. Arras - Artois - Côte d'Opale, Paris, Beauchesne, 2013. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7522.
  • M. LARKIN, L'Église et l'État en France. 1905 : la crise de la Séparation, Toulouse, Éditions Privat, 2004. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7096.
  • J.-M. DUHART, La France dans la tourmente des inventaires. La séparation des Églises et de l'État, Joué-lès-Tours, Alan Sutton, 2001. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7097.
  • M. WORONOFF, La Séparation en province, Paris, Institut de France, 2005. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 7111.