Le 5 mars 2012, le rapport parlementaire sur l’hypersexualisation des enfants de Chantal Jouanno, prônant, entre autre chose, l’interdiction des concours de mini-miss, faisait les gros titres de la presse.
On pouvait notamment y lire : Si les concours français de mini miss n’ont pas les traits caricaturaux de […] nos voisins anglo-saxons, ils reposent sur une logique d’apparence, de mise en scène des charmes féminins peu conformes avec toute forme d’éducation à l’égalité et au mérite par l’intelligence.
Société de secours mutuels du 1er concours de bébés
Pourtant, ce genre de pratique n’est pas nouveau ; pour preuve, cette affiche de 1911, annonçant un "concours des bébés", ouvert aux enfants d’un mois à cinq ans. Les lauréats sont sélectionnés parmi les enfants les plus beaux et les mieux élevés
et reçoivent diverses récompenses telles que médailles, brevets et diplômes, livrets de caisse d’épargne, bons de photographie, etc.
Cette manifestation, organisée par la Société de secours mutuels du 1er concours de bébés, existe depuis 1880, avec le soutien du conseil municipal de Paris et du conseil général de la Seine. Devant le succès de l’opération, la manifestation se délocalise dans d’autres grandes villes de province, comme ici à Arras.
Au-delà de son caractère apparemment futile, le concours est accompagné d’une série de conférences ayant trait à l’hygiène infantile. Le lien n’est pas anodin, puisque le XIXe et le début du XXe siècle voient la naissance de l’hygiène publique, ainsi que la mise en place et le développement de nombreux organismes dédiés à cette question, jusqu’au sein de l’administration centrale.
Naissance de l’hygiène publique
Cette prise de conscience vient tout d’abord d’un constat alarmant concernant le taux de mortalité au XIXe siècle. Certes, les populations subissent encore des vagues d’épidémies (principalement le choléra et la tuberculose), mais elles sont également décimées par d’autres fléaux résultant de mauvaises conditions de vie (logements insalubres, manque d’éducation sanitaire, alcoolisme, etc.).
Contrairement aux idées reçues, la région Nord-Pas de Calais n’est pas à cette époque victime des effets pervers de la révolution industrielle. De 1801 à 1805, elle fait partie des régions où l’espérance de vie est la plus élevée. C’est suite à la désindustrialisation que ce territoire s’est retrouvé, en l’espace d’un siècle, dans le groupe des régions ayant la plus faible espérance de vie.
Pour lutter contre ces maux, les autorités créent en 1848 les conseils départementaux d’hygiène, puis en 1889 la direction de l’assistance et de l’hygiène publique, qui débouche en 1920 sur le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale, centralisant l’ensemble de l’action publique dans ces domaines.
Au même titre, des initiatives privées voient le jour un peu partout en France et en Europe. En parallèle aux campagnes antisyphilitiques, antituberculeuses et antialcooliques, des médecins et des associations se penchent sur les causes de la mortalité infantile. En 1894 à Fécamp, le docteur Léon Dufour crée la première "Goutte de lait" qui encourage l’allaitement maternel et fournit du lait en cas d’allaitement mixte, dans le but d’endiguer la propagation d’entérites, principale cause de mortalité infantile (58 % des décès de nourrissons en 1891). De plus, une consultation de nourrissons est à la disposition des mères. En 1912, il existe 160 Gouttes de lait à travers le monde ; l’institution fermera ses portes soixante ans plus tard.
De leur côté, les autorités entreprennent, entre autres, des campagnes d’informations et tentent de marquer les esprits par des messages chocs, comme on peut le constater sur le bulletin de naissance de 1928 reproduit ci-contre.
On peut décemment supposer que les concours organisés par la Société de secours mutuels du 1er concours de bébés sont plus prétexte à la délivrance de ce message social et hygiéniste qu’à une mise en scène ou une logique d’apparence
: en un siècle, la manifestation a perduré, mais sa raison d’être a totalement changé.