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Un concours de bébés en 1911

Le 5 mars 2012, le rapport parlementaire sur l’hypersexualisation des enfants de Chantal Jouanno, prônant, entre autre chose, l’interdiction des concours de mini-miss, faisait les gros titres de la presse.

On pouvait notamment y lire : Si les concours français de mini miss n’ont pas les traits caricaturaux de […] nos voisins anglo-saxons, ils reposent sur une logique d’apparence, de mise en scène des charmes féminins peu conformes avec toute forme d’éducation à l’égalité et au mérite par l’intelligence.

Affiche noir et blanc au milieu de laquelle se trouve un montage-photo d'une quarantaine d'enfants en bas âge. De part et d'autre, on lit "Concours de bébés, organisé par la Société de Secours Mutuels du 1er Concours de Bébés, fondé en 1880 (Seine), autorisé par arrêté ministériel du 3 avril 1909. Prix du Conseil municipal de Paris et du Conseil général de la Seine. Prix et récompenses : Médailles d'Or, de Vermeil et d'Argent, d'Honneur, de 1e Classe, de 2e et 3e Classe, Brevets et Diplômes, des Livrets de Caisse d'Épargne sont décernés annuellement aux enfants les plus beaux et les mieux élevés, aux nourrices, aux crèches, écoles maternelles, etc., ainsi que les prix des Membres protecteurs et des Villes. Chaque enfant inscrit au Concours des Bébés reçoit gratuitement un livret de la famille et un titre en participation de valeurs de 1er ordre, à gros lots et à nombreux tirages. Les enfants inscrits et reçus au Concours reçoivent tous leur diplôme de Sociétaire lauréat, un bon de photographie (Paris). Les portraits des lauréats sont publiés aux frais de la Société. Les enfants reçus concourrent pour tous les prix, avantages et subventions recueillis par la Société qui reçoit les dons avec reconnaissance. Les enfants d'un mois à 5 ans peuvent prendre part au Concours qui aura lieu le Vendredi 19 Mai 1911 de 2 à 5 h, salle des Beaux-Arts, rue de l'Arsenal, Arras. On peut s'inscrire à la Salle où a lieu le Concours. Il est perçu par inscription, frais et droit de Concours, 3 fr. par enfant pour un an. Les parents sont avertis, s'il y a lieu, des vices de constitution ou de conformation des enfants. Pour recevoir invitation, renseignements et inscrire les enfants sans dérangement, envoyer un mandat de 3 fr. au Siège Social du Concours de Bébés, rue de l'Hay, à Arcueil (Seine), à M. A. Grippa, Président".

Affiche annonçant un concours des bébés le 19 mai 1911 à Arras. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1528.

Société de secours mutuels du 1er concours de bébés

Pourtant, ce genre de pratique n’est pas nouveau ; pour preuve, cette affiche de 1911, annonçant un "concours des bébés", ouvert aux enfants d’un mois à cinq ans. Les lauréats sont sélectionnés parmi les enfants les plus beaux et les mieux élevés et reçoivent diverses récompenses telles que médailles, brevets et diplômes, livrets de caisse d’épargne, bons de photographie, etc.

Cette manifestation, organisée par la Société de secours mutuels du 1er concours de bébés, existe depuis 1880, avec le soutien du conseil municipal de Paris et du conseil général de la Seine. Devant le succès de l’opération, la manifestation se délocalise dans d’autres grandes villes de province, comme ici à Arras.

Au-delà de son caractère apparemment futile, le concours est accompagné d’une série de conférences ayant trait à l’hygiène infantile. Le lien n’est pas anodin, puisque le XIXe et le début du XXe siècle voient la naissance de l’hygiène publique, ainsi que la mise en place et le développement de nombreux organismes dédiés à cette question, jusqu’au sein de l’administration centrale.

Naissance de l’hygiène publique

Cette prise de conscience vient tout d’abord d’un constat alarmant concernant le taux de mortalité au XIXe siècle. Certes, les populations subissent encore des vagues d’épidémies (principalement le choléra et la tuberculose), mais elles sont également décimées par d’autres fléaux résultant de mauvaises conditions de vie (logements insalubres, manque d’éducation sanitaire, alcoolisme, etc.).

Contrairement aux idées reçues, la région Nord-Pas de Calais n’est pas à cette époque victime des effets pervers de la révolution industrielle. De 1801 à 1805, elle fait partie des régions où l’espérance de vie est la plus élevée. C’est suite à la désindustrialisation que ce territoire s’est retrouvé, en l’espace d’un siècle, dans le groupe des régions ayant la plus faible espérance de vie.

Document imprimé sur lequel on lit "Ville de Bordeaux. Mères qui voulez que votre enfant devienne un être robuste et intelligent, lisez bien les lignes qui suivent. C'est dans les premiers mois de son existence que l'enfant est le plus exposé à la maladie et à la mort. Pour les mères : l'enfant doit être élevé par sa mère. L'enfant a besoin, pour vivre, de soins dévoués et éclairés que seule une mère est capable de lui donner : l'instinct maternel et le coeur maternel ne se remplacent jamais. La mère qui abandonne son enfant commet moralement le crime d'infanticide. La mère qui confie l'élevage de son enfant à une personne étrangère commet un acte de demi-abandon". Au-dessus de ce texte, on voit deux photos de bébés ; l'un est dodu et souriant avec la légende "enfant bien nourri" tandis que l'autre est chétif et maladif, avec un ventre anormalement gonflé (en-dessous se trouve la légende "enfant mal nourri").

Bulletin de naissance daté du 29 juillet 1928. Archives départementales du Pas-de-Calais, 87 J non coté.

Pour lutter contre ces maux, les autorités créent en 1848 les conseils départementaux d’hygiène, puis en 1889 la direction de l’assistance et de l’hygiène publique, qui débouche en 1920 sur le Ministère de l’hygiène, de l’assistance et de la prévoyance sociale, centralisant l’ensemble de l’action publique dans ces domaines.

Au même titre, des initiatives privées voient le jour un peu partout en France et en Europe. En parallèle aux campagnes antisyphilitiques, antituberculeuses et antialcooliques, des médecins et des associations se penchent sur les causes de la mortalité infantile. En 1894 à Fécamp, le docteur Léon Dufour crée la première "Goutte de lait" qui encourage l’allaitement maternel et fournit du lait en cas d’allaitement mixte, dans le but d’endiguer la propagation d’entérites, principale cause de mortalité infantile (58 % des décès de nourrissons en 1891). De plus, une consultation de nourrissons est à la disposition des mères. En 1912, il existe 160 Gouttes de lait à travers le monde ; l’institution fermera ses portes soixante ans plus tard.

De leur côté, les autorités entreprennent, entre autres, des campagnes d’informations et tentent de marquer les esprits par des messages chocs, comme on peut le constater sur le bulletin de naissance de 1928 reproduit ci-contre.

On peut décemment supposer que les concours organisés par la Société de secours mutuels du 1er concours de bébés sont plus prétexte à la délivrance de ce message social et hygiéniste qu’à une mise en scène ou une logique d’apparence : en un siècle, la manifestation a perduré, mais sa raison d’être a totalement changé.

Photographie noir et blanc d'une salle remplie de mères accompagnées de leurs enfants. En-dessous, la légende précise "concours des bébés, Caen, 1910. Hygiène de l'enfance : trente ans d'études, de pratique, d'observations, nous ont permis de recueillir des secrets et des recettes utiles qui ne peuvent s'assimiler sur l'heure. Nous ne donnons nos conseils qu'après des expériences sûres qui peuvent être suivies avec fruit par les familles".

Détail du programme de la distribution des prix du palmarès de 1910. Archives départementales du Pas-de-Calais, M 1528.

Pour aller pus loin

  • L. MURARD et P. ZYLBERMAN, L’hygiène dans la République, la santé publique en France, ou l’utopie contrariée (1870-1918), Paris, Fayard, 1996. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 5535.
  • M. GRIBAUDI et J. MAGAUD, L'action publique et ses administrateurs dans les domaines sanitaire et social en France, 1800 à 1900, Paris, Institut national d'études démographiques, 2000. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHD 1113/9.