Contrairement aux idées reçues, l’existence de déserts médicaux est loin d’être une problématique contemporaine : le document présenté ci-contre atteste que le sujet inquiète déjà les autorités en 1853.
Grande enquête de statistique médicale
En conséquence d’une circulaire du 17 mars 1853, une grande enquête est entreprise à l’échelle nationale, visant à disposer d’un état de la médecine en France.
Il est demandé à chaque sous-préfet d’arrondissement de recenser le personnel médical couvrant son territoire ; une série de questions est soumise aux conseils locaux de salubrité d’hygiène publique créés en 1848 (pour en savoir plus, voir Un concours de bébés en 1911), qu’il s’agisse de la répartition des professionnels de santé dans leur circonscription, de l’état sanitaire de l’arrondissement ou de ses conséquences sur les besoins de la population.
Par la suite, l’opération est renouvelée et le ministère de l’Intérieur décide en 1856 d’en faire un plan quinquennal coïncidant avec les recensements de population, afin de mesurer l’efficacité des mesures engagées.
Inégalités des ressources médicales
Le constat est sans appel : la France souffre d’une pénurie de médecins, phénomène davantage prononcé dans les campagnes. Des statistiques de 1866-1875, il ressort que 29 697 communes sont sans médecin résidant. Le fossé se creuse en 1876-1881 avec 29 795 communes. La préoccupation est d’autant plus forte dans le Pas-de-Calais, qui est, en 1884, le premier département de France en nombre de communes (904) et le troisième en termes de population. Qui plus est, une population essentiellement agricole, disséminée sur un vaste territoire.
Quelques chiffres illustrent ces propos :
Année | Nombre de médecins | Population du département |
---|---|---|
1825 |
357 |
600 000 habitants |
1839 |
327 |
673 000 habitants |
1884 |
270 |
850 000 habitants |
Comment expliquer ce fait ?
Un décret du 22 août 1854 nous apporte quelques éléments de réponse, puisqu’il établit des conditions d’admission plus sélectives au statut d’officier de santé.
Vers la suppression des officiers de santé
Ce second ordre de praticiens en médecine est créé le 19 ventôse an XI (10 mars 1803) pour pourvoir aux exigences médicales des armées et de la population civile
et endiguer le charlatanisme dans les campagnes. Car (observation toujours d’actualité) une grande majorité de docteurs préfère s’établir en ville plutôt qu’à la campagne. Justifiant de six années d’étude auprès d’un docteur, de cinq ans dans un hôpital ou de trois ans dans une école de médecine, les officiers de santé sont souvent les seuls à assurer les secours de la médecine en milieu rural et sont reçus avec bienveillance lors des conflits armés.
Pourtant, le bien-fondé de leur existence reste un grand sujet de polémique durant le XIXe siècle. On retrouve trace de plusieurs tentatives de révision, voire d’abrogation de la loi. Leurs adversaires assurent vouloir combattre l’exercice illégal de la médecine et offrir la même qualité de service dans les campagnes et les villes. La loi du 30 novembre 1892 leur donne finalement raison, puisqu’elle décide que nul ne peut exercer la médecine en France s’il n’est muni d’un diplôme de docteur en médecine
.
À partir de cette date, les statistiques médicales deviennent alarmantes sur le nombre de médecins dans les campagnes.
Autre facette du problème : l’assistance dans les campagnes
Dès 1853, quelques départements instituent des médecins cantonaux pour soulager les indigents des campagnes, qui souvent résident loin des hôpitaux et des offices de bienfaisance urbains. Ces médecins sont en charge des opérations de vaccination infantile, prodiguent des conseils d’hygiène, vérifient le bon état des dépôts de médicaments. Pourtant, cette idée est vite jugée non pertinente, car les cantons ne sont pas tous égaux en superficie ni en densité de population. De plus, l’État n’alloue au projet qu’une faible indemnisation et il reste surtout à la charge et au bon vouloir des départements.
Ces questions redeviennent une cause majeure pour les gouvernements de la IIIe République qui tentent de lutter contre l’exode rural. Un projet de loi est adopté en 1893 par la chambre des députés, faisant de l’assistance une obligation pour les communes, les départements et l’État.
Un siècle plus tard, le casse-tête demeure entier : l’ARS (Agence régionale de santé) a récemment dépisté "10 zones fragiles" en offre de soins de premier secours dans le Nord-Pas-de-Calais où la densité de praticiens est inférieure de 30 % à la moyenne nationale.