À l’occasion du lancement de l’exposition RC Louvre Mémoires Sang et Or au Louvre-Lens, le document que nous mettons aujourd’hui à l’honneur rapporte un incident survenu en 1756 à Hébuterne, lors d’une partie de choule, l’ancêtre présumé du football et du rugby.
Les faits
Cet acte rédigé le 10 mars 1756 par Charles-Louis Delporte, notaire royal établi à Pas-en-Artois, porte le nom étrange d’ "accord pour batterie". Le terme de batterie désigne ici une querelle où des coups ont été donnés. Ce texte, relativement court, rapporte un événement qui a eu lieu huit jours auparavant (le 2 mars), dans le village d’Hébuterne, attenant à la frontière picarde, au sud de l’Artois.
Lors d’une partie de choule, une dispute éclate entre plusieurs joueurs : d’un côté, Guislain-Joseph de Couin et, de l’autre, Mathieu et Éloi Grossemy.
Les esprits certainement échauffés par la compétition, l’altercation enfle et Guislain-Joseph de Couin finit par recevoir un coup de crosse à la tête, ce qui le contraint à l’alitement durant plusieurs jours.
Suite à cet incident, la victime décide de porter plainte auprès de la justice seigneuriale, avant de se raviser pour choisir une option moins longue et surtout moins onéreuse, en s’adressant au notaire de Pas-en-Artois. Un accord à l’amiable est trouvé, engageant les auteurs de la blessure à payer une somme de 275 livres pour soigner et subvenir aux besoins du blessé.
Les archives nous donnent, malheureusement peu de renseignements sur les différents protagonistes. Il s’agit certainement de jeunes gens, n’ayant pas atteint la majorité civile, alors fixée à 25 ans, car ils sont représentés par leurs tuteurs. Nous savons aussi que la victime, Guislain-Joseph de Couin, est orphelin, ayant perdu ses parents en 1749 et 1750 [ note 1].
Qu’est-ce que la choule ?
C’est un jeu traditionnel pratiqué en France dès le Moyen Âge. L’étymologie du mot est incertaine, mais il semble que la choule soit la variante normano-picarde du français soule qui, lui, provient vraisemblablement du latin solea signifiant sandale ou soulier, car le ballon était le plus souvent frappé du pied.
À l’instar du football actuel, deux équipes se disputent un ballon – tantôt en bois, tantôt en cuir ou en vessie de porc ou de bœuf – appelé choulet ou boulaie, afin de le porter dans le but adverse (appelé viquet).
Les règles de ce jeu n’étaient pas toujours très bien définies et pouvaient surtout variées d’une région à une autre. C’est ainsi qu’on y joue, selon les coutumes, avec les pieds, les mains ou à l’aide d’une crosse. Dans le cas présent – malheureusement pour Guislain-Joseph de Couin – la crosse est utilisée. Son usage est alors fréquemment associé à celui d’une boule de bois, ne pouvant évidemment pas être propulsé à coup de pieds. Cette façon de jouer semble avoir été prisée dans les provinces situées au nord de Paris, notamment en Flandre et en Picardie. Toutefois notre minute ne donne que très peu de renseignements sur le déroulement du jeu.
La choule est un jeu rural par excellence, nécessitant de larges espaces, aussi bien à la campagne qu’à l’intérieur du village. La présente partie a lieu un 2 mars, car ce sport est pratiqué en hiver, lors de l’interruption des travaux agricoles. Il avait également l’avantage d’aider à se réchauffer, face à la rigueur du climat durant la mauvaise saison.
Pourquoi un acte notarié ?
Sous l’Ancien Régime, les notaires royaux sont omniprésents dans la vie de la communauté et reçoivent ainsi les divers actes de la vie quotidienne. Loin d’être de simples scribes, ils sont les référents vers lesquels on se tourne pour régler les affaires ordinaires. Ils ont, en fait, parmi leurs prérogatives, un rôle perdu de nos jours, celui de "médiateurs-arbitres".
N’oublions pas que la France sous l’Ancien Régime est une société éminemment procédurière. Les archives familiales nous le prouvent de par le nombre important de procès qu’elles contiennent.
Toutefois, une part importante du traitement de la criminalité n’est pas assurée par la justice, mais par une "infra-justice", comme en témoignent les accords entre parties que l’on peut trouver dans les archives notariales. En fait, les procédures coûtent chères, ce qui en limite l’accès à la noblesse ou à la bourgeoisie. La classe moyenne ou artisanale préfère donc régler ses différends devant notaires, visiblement plus accessibles. Cette notion est d’ailleurs perceptible dans le texte, où il est clairement indiqué que l’accord est préféré à la justice seigneuriale d’Hébuterne, afin d’éviter les poursuittes frayeuses
.
D’ailleurs, le plus souvent, les affaires d’injures ou de brutalité sans homicide ne dépassent pas le stade de la plainte ou de l’information. On les retrouve alors dans les accords passés devant notaire, moins d’une semaine après les faits, à un stade précoce de la procédure, qui de ce fait, s’arrête.
Comme en témoigne notre acte, la choule est ainsi un sport réputé brutal, mais qui passionne et qui peut mobiliser une paroisse entière contre une autre. De plus, le plaisir du jeu l’emporte souvent sur les risques de commotions cérébrales !
Accord pour batterie du 10 mars 1756
Pardevant les notaires roiaux d’Artois soussignés sont comparus Guislain-Joseph de Couin fils des feux Jean et Marie-Guislaine Lefebvre étant en son lit blessé, néantmoins en ses bons sens et entendement, demeurant au village d’Hébuterne, assisté de Guisllaume Degardin, cordonnier audit lieu son tuteur d’une parte, Jean-Louis Grossemy mareschal demeurant audit Hébuterne stipulant pour et au noms de Mathieu Grossemy son fils, Charle Grossemy chaudronnier tuteur conjointement avecq ledit Jean-Louis Grossemy et stipulant tous deux pour et au noms d’Éloy Grossemy leurs neveu d’autre parte, et reconnurent les partyes que le deux mars de ce présent mois ledit Guislain-Joseph de Couin, dans une querelle mut entre luy et lesdits Mathieu et Éloy Grossemy, auroit esté blessé à la teste d’un coup de crosse dont les jeusnes gens se servent audit Hébuterne pour jouer à la choulle, lequel coup le retient au lit depuis ce temps, ce quy l’auroit obligé de former sa plainte le trois ensuivant pardevant messieurs les officiers de justice de la terre et seigneurie dudit Hébuterne à la charge desdits Mathieu et Éloy Grossemy, désirants lesdits premiers et seconds comparants esdittes qualitées vivre en paix, union et bonne intelligence, et pour évitter les poursuittes frayeuses quy pouroient etre faites à ce sujet, les parties sont convenues de ce quy suit, sçavoir que ledit Guislain-Joseph de Couin assisté que dessus s’étant voluntairement voulu restraindre a la somme de deux cens soixante-quinze livres pour tous domages, intérêts, aliments, gardes douleurs et retard généralement quelconques, lesdits Jean-Louis et Charle Grossemy seconds comparants y ont acquiessé, en conséquence ont ce jourd’huy, présents lesdits notaires, payés aux premiers comparants laditte somme de deux cens soixante-quinze livres, dont quittance, et outre promettent iceux seconds comparants payer les frais des deux chirurgiens dont l’un sera choisy par les premiers comparant et l’autre par les seconds, jusqu'à entière et parfaite guérison, au moyen de quoy lesdits premiers comparants quittent et deschargent a tous égards lesdits Mathieu et Éloy Grossemy et consentent touttes poursuittes être assoupis et éteint, à quoy ils renoncent expressément. Fait et passé au village d’Hébuterne le dix mars mil sept cens cinquante-six et ont les parties signés pardevant que dessus, signés Jean-Louis Grossemy, G. de Couin, Charle Grossemy et comme notaires C. de Laporte et Delacroix.
Registre des minutes de Charles-Louis Delaporte, 1756-1757. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 E 109/20.
Note
[ note 1] Dans les registres paroissiaux de la commune d’Hébuterne, se trouvent les actes de sépulture de son père, Jean de Couin, décédé le 19 avril 1749 et de sa mère, Marie-Guislaine Lefebvre, décédée le 22 décembre 1750.
Duquesne Bruno
Notre choule est plus proche du golf que du football par la crosse utilisée et par le principe de jeu : atteindre un but fixé à l'avance en un nombre de coups fixé par pari.
On y jouait en général individuellement et non en équipe.
Voir "Le grand choleur" dans "Contes d'un buveur de bière" de Charles Deulin.
Émile Zola décrit aussi une partie de choule dans "Germinal".
Le 08 avril 2016 à 15h42