La gymnastique, ou l’art d’exercer le corps, est la base-même de toute discipline sportive, ce qui explique sans doute qu’on la retrouve dans les toutes les civilisations. Elle existe en Occident depuis au moins le XVIe siècle et, contrairement à d’autres sports historiquement élitistes, son recrutement est populaire.
Les conséquences de la défaite de 1870
La pratique de la gymnastique est, en France, intimement liée à la préparation militaire. Les exercices collectifs imposés aux recrues sont destinés à renforcer le sentiment de discipline et de solidarité. C’est pourquoi, l’armée crée en 1852 l’école normale militaire de gymnastique de Joinville-le-Pont.
Au lendemain de la défaite française de 1870 et de l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, le ressentiment est profond et donne naissance à un nationalisme exacerbé teinté de militarisme. La France se prépare à la revanche et entraîne toute sa population dans son élan. On prend conscience de l’importance d’une formation prémilitaire et, en parallèle au développement de la notion de citoyen-soldat, on encourage sa préparation physique. C’est dans cet esprit que sont créés les bataillons scolaires (1882-1892), appelés à former les enfants de moins de 12 ans à une future intégration au sein de l’armée.
La gymnastique est alors placée au centre de ce programme, élevée au rang de "fortification patriotique des corps" et amenant une confraternité constante, l’amour du drapeau et la fidélité à la République. En outre, en pleine vague hygiéniste, la pratique physique est recommandée pour parer d’éventuelles épidémies.
Le Nord-Pas-de-Calais est particulièrement concerné par ce programme puisqu’en 1873, c’est la première région militaire de France (avec 93 bâtiments répartis sur 21 villes de garnison). Si dans les années 1870, elle accuse un certain retard par rapport au reste du pays, elle le rattrape vite et devient en quelques années un véritable bastion de la gymnastique française (de 1879 à 1903, on passe de 6 sociétés de gymnastique à 104, dont 37 dans le Pas-de-Calais).
L’Association régionale des gymnastes du Nord et du Pas-de-Calais
C’est dans ce cadre qu’est créée en 1879 l’Association régionale des gymnastes du Nord et du Pas-de-Calais, dont le premier président est César Baggio, secondé par Cyrille Wachmar (qui contribuera plus tard à la création du Bureau des fédérations européennes de gymnastique).
L’association a pour but de regrouper les sociétés des deux départements et d’édicter des règles communes afin d’uniformiser l’enseignement et la pratique, suivant les principes de l’Union des sociétés de gymnastique de France (fondée en 1873, doyenne des fédérations sportives et reconnue d’utilité publique en 1903).
Le premier article des statuts de l’Union est d’ailleurs très éclairant :
L’Union des sociétés de gymnastique de France a pour but de favoriser le développement des forces physiques et morales par l’emploi rationnel de la gymnastique, d’accroître les forces défensives du pays par la vulgarisation des exercices militaires, d’affirmer et de vulgariser ces principes par la fédération des sociétés françaises.
L’association régionale crée une presse spécialisée (Gymnastic-Sport-Nord, un bimensuel dont le premier numéro paraît le 5 décembre 1880), donne des cours au niveau régional et organise des fêtes annuelles, conçues pour mettre en valeur la force qui se dégage des prestations collectives de masse.
Le bulletin mensuel de l’association du 5 mars 1880 nous retrace le programme établi à l’occasion de la première édition : exercices généraux (mouvements d’ensemble), concours de section, concours individuel comprenant un volet artistique, compétition athlétique et prestation de saut, et travail facultatif composé d’exercices à la barre fixe, aux barres parallèles, anneaux, arçons.
Les associations régionales ne sont pas les seules à organiser ce genre de galas annuels, puisqu’elles imitent les grandes fêtes données par l’Union des sociétés de gymnastique de France.
La 30e fête fédérale de l’Union des sociétés de gymnastique de France à Arras en 1904
En 1904, Arras est choisie pour accueillir la trentième édition de ce rassemblement. Cette année est aussi celle de l’Exposition du Nord de la France. La coïncidence n’est pas fortuite, car ce type d’exposition (sur le même modèle que les grandes expositions universelles) s’accompagne souvent de manifestations (sportives, mais aussi congrès, salons de toutes sortes, etc.).
Les 22 et 23 mai, 8 000 gymnastes venus de toute la France se produisent au Vélodrome et sur le grand champ de manœuvres de Baudimont, avant de défiler dans la ville.
MM. Minelle (maire d’Arras) et Duréault (préfet du Pas-de-Calais) sollicitent un avancement des vacances de Pentecôte pour les élèves du collège et de l’École normale d’instituteurs, afin de loger les athlètes. C’est dire l’importance que revêt l’événement, qui est ponctué par la visite du président de la République, Émile Loubet.
La ville revêt ses habits de fête : certaines maisons sont recrépies et remises à neuf, les rues sont garnies de cordons de gaz et d’électricité et les principales artères sont ornées de fausses portes monumentales.
En plus des exhibitions de groupe, ces fêtes sont l’occasion de compétitions, les premières depuis la "nationalisation" de cette pratique sportive. Au fil des années, le programme se complexifie et réduit la connotation militaire pour faire davantage de place à la compétition, annonçant par là les prémisses de la gymnastique purement sportive, telle qu’on la connaît aujourd’hui.