Fermeture du centre Georges-Besnier jusqu'à nouvel ordre
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Bonne fortune… contre mauvais sort
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Le remplacement militaire dans les archives notariales
Saviez-vous qu'au XIXe siècle, les conscrits pouvaient se trouver un remplaçant pour effectuer leur service militaire à leur place ? La pratique était si répandue qu'elle donna même lieu à la création d'agences de remplacement !
Tirage au sort et agences de remplacement
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"21e régiment de dragons, 3e escadron, 1ère division. St-Omer, juin 1905". Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 Fi 3540.
"21e régiment de dragons, 3e escadron, 1ère division. St-Omer, juin 1905". Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 Fi 3540.
Le 2 octobre 1854, Maître Vasselle, notaire à Arras, rédige un contrat d’un genre particulier, conclu entre Pierre-Philippe Becquembois, propriétaire à Izel-lès-Équerchin, et Joseph-Marie Tirlot, maçon à Beaumont, agissant tous deux au nom de leurs fils Edmond-Bon-Clément Becquembois et Louis-Joseph Tirlot.
En 1854, le service militaire est encore soumis au tirage au sort ; Monsieur Becquembois fils, en tirant le numéro 125, a eu la main malheureuse, puisqu’il fait partie des appelés de la classe 1853 pour le canton de Vimy. Monsieur Becquembois père se rend alors dans une agence spécialisée et charge Monsieur François-Jean-Baptiste Robert, "agent d’affaires" à Arras, de trouver un remplaçant à son fils. Il est en effet courant et tout à fait légal à cette époque d’envoyer quelqu’un faire son service à sa place.
Contre 2 000 francs, Monsieur Tirlot fils accepte donc se rendre au lieu d’incorporation du numéro 125 et d’y effectuer les six années de service d’Edmond Becquembois. Mais ce que ce contrat ne dit pas, c’est que quelques mois plus tôt (contrat du 19 juin 1853 chez Maître Vasselle), Monsieur Tirlot fils s’est lui-même fait remplacer (grâce aux bons soins de Monsieur Robert), pour 1 400 francs. La famille Tirlot a donc réalisé une marge de 600 francs !
Évolution du service militaire
La loi du 19 fructidor an VI (5 septembre 1798), dite loi Jourdan, crée la conscription républicaine et pose les bases du service obligatoire pour les hommes âgés de 20 à 25 ans. Son but est d’endiguer la vague de démobilisation due aux sombres épisodes de la Révolution et elle fournit par la même occasion un vivier de jeunes recrues aux campagnes napoléoniennes.
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Prospectus du sieur Blondin, agent de remplacement militaire, rue des Quatre-Crosses, n° 7, à Arras. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 700/14.
Prospectus du sieur Blondin, agent de remplacement militaire, rue des Quatre-Crosses, n° 7, à Arras. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHA 700/14.
Face à son impopularité, un décret impérial du 8 nivôse an XIII (29 décembre 1804) rétablit le tirage au sort et instaure le principe de remplacement militaire. Au fil des ans et des gouvernements, les idées s’affrontent quant au mode de recrutement militaire : certains dénoncent l’injustice du tirage au sort ainsi que les déviances engendrées par le remplacement militaire ; d’autres soutiennent que le recrutement pour tous est un gouffre financier et une erreur stratégique, puisque l’augmentation du nombre de conscrits réduit la durée du service et qu’on obtient finalement une armée onéreuse et peu expérimentée. D’autant que plusieurs pointent du doigt le coût de l’armée, la multiplication de rouages inutiles, la multitude de généraux (353 en 1843), la complexité administrative et la lenteur de la mobilisation en cas de conflit ; ils militent pour une simplification du système.
En définitive, le 21 mars 1905 est votée la suppression du tirage au sort et du remplacement : le service militaire redevient obligatoire pour tous et ce jusqu’à la loi du 8 novembre 1997, qui met fin à la conscription obligatoire et professionnalise les armées françaises.
Inconvénients du remplacement militaire
Les propositions de révision de loi concernant le remplacement militaire n’ont donc jamais cessé de s’accumuler, les deux camps "pro" et "anti" s’opposant avec fougue.
Chez les partisans de ce système, on argue que tout le monde n’a pas le tempérament pour intégrer l’armée et que les talents de chacun doivent être exploités dans le domaine de prédilection que l’on s’est choisi, sous peine d’atteinte aux libertés individuelles.
Ses détracteurs en revanche, militent contre ce commerce d’hommes
injuste, qui creuse l’écart entre riches et pauvres. Ils affirment qu’une armée doit être composée de tous les éléments de sa population et qu’un tel système entretient la mauvaise qualité des remplaçants ainsi que leur immoralité.
Vers la fin du remplacement militaire
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"Arras, n° 99. Dans la cour du quartier Schram. Aux pommes de terre". Archives départementales du Pas-de-Calais, 39 Fi 1115.
"Arras, n° 99. Dans la cour du quartier Schram. Aux pommes de terre". Archives départementales du Pas-de-Calais, 39 Fi 1115.
Il faut dire que la pratique entraîne des retombées économiques alléchantes, au point qu’au début du XIXe siècle, on ne tarde pas à voir fleurir des agences de remplacement, plus ou moins sérieuses. En 1818, cette activité est réglementée par une loi, mais les dispositions, très libérales, laissent une grande marge de manœuvre. Des compagnies d’assurances mutuelles contre le tirage au sort (par exemple l’Union artésienne à Arras) se multiplient de 1818 à 1821, date à laquelle est votée une ordonnance qui subordonne la profession à une autorisation. Mais, faute de sanction pénale, les entreprises continuent cependant de fonctionner.
Ce phénomène prend une telle ampleur que l’État ne tarde pas à s’interroger sur les bénéfices qu’il pourrait en tirer, d’autant que l’achat de remplaçant est conditionné par les événements économiques et politiques : la déclaration de guerre de Crimée en mars 1854 entraîne l’augmentation des effectifs de l’armée (on passe de 300 000 hommes à 500 000 en un an), ce qui suscite une crise du commerce de remplacement.
Le 26 avril 1855, on vote donc l’exonération en substitution du remplacement. Cette taxe, versée directement à la Caisse de dotation des armées, permet aux autorités de rengager d’anciens soldats expérimentés à la place des jeunes appelés. Si cette mesure apporte une amélioration de la qualité des contingents, elle a pour conséquence un vieillissement de l’armée et un déficit des conscrits. La guerre de 1870 aura raison de ce procédé.
Le remplacement militaire, si critiqué et pourtant si largement utilisé, n’est pourtant pas la seule échappatoire au service national. Certains conscrits peu scrupuleux n’hésitaient pas à contracter des mariages blancs pour échapper au service, se prétendant alors soutien de famille, comme il semblerait dans l'acte de mariage suivant (dernière image du carrousel ci-dessous) : le marié a 24 ans et la jeune épouse… 80 ans !
Contrat de remplacement militaire, étude de maître G. Vasselle, notaire à Arras, 2 octobre 1854. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 E 018 / 540A.
Transcription du document
N° 483. Par devant Maître Vasselle et son collègue notaires à Arras soussignés
Ont comparu
Monsieur Pierre-Philippe Becquembois, propriétaire
demeurant à Izel-lès-Equerchin,
agissant au nom et comme père de M. Edmond-
Bon-Clément Becquembois jeune soldat de
la classe de mil huit cent cinquante-trois
étant tombé au sort, comme ayant obtenu
le numéro cent vingt-cinq dans le canton de Vimy d’une part,
Monsieur Joseph-Marie Tirlot père, maçon demeurant
à Beaumont,
Monsieur Louis-Joseph Tirlot fils, ouvrier demeurant audit Beaumont, tous deux d’autre part,
Lesquels ont arrêté entr’ eux les conventions suivantes.
Monsieur Tirlot père et Monsieur Tirlot fils s’obligent solidairement
à remplacer dans les armées françaises Monsieur Becquembois
fils par Monsieur Tirlot fils. Ce dernier fera tout le
service militaire dont Monsieur Becquembois fils pourrait être
tenu pendant tout le temps et de la manière voulue par
les règlements et à faire en sorte qu’il ne puisse être
aucunement inquiété, poursuivi ou recherché au sujet du recrutement.
En conséquence Monsieur Tirlot fils déjà admis
comme remplaçant de Monsieur Becquembois se rendra
directement au corps qui lui sera désigné. Aussitôt
qu’il aura été incorporé, il devra en justifier par un certificat en forme.
Ce remplacement est ainsi convenu moyennant
la somme de deux mille francs que Monsieur Becquembois
père s’oblige de payer, savoir quatorze cent soixante-
quinze francs quatre-vingt centimes comptant
et le surplus après l’expiration du délai
d’un an et d’un jour pendant lequel les remplacés
sont responsables de leurs remplaçants envers le gouvernement
et sur la représentation d’un certificat de présence au
corps, ou treize mois après son admission au corps.
Ce surplus de prix sera productif d’intérêts
sur le pied de cinq pour cent par an sans retenue,
à compter de ce jour, qui seront payables en même temps que le principal.
Contrat de remplacement militaire, étude de maître G. Vasselle, notaire à Arras, 2 octobre 1854. Archives départementales du Pas-de-Calais, 4 E 018 / 540A.
Transcription du document
Le paiement de cet excédent de prix aura
lieu en l’étude de Maître Vasselle, notaire, entre les
mains de Monsieur Tirlot père qui donnera quittance pour le compte de son fils.
Il est expressément convenu
que si pour quelque cause que ce soit provenant
du fait du remplaçant, Monsieur Becquembois était obligé
de servir ou de fournir un autre remplaçant, Messieurs
Tirlot père et fils ne pourraient rien exiger
de la somme qui reste à payer et seraient solidairement
tenus de restituer celle de quatorze cent soixante-quinze francs quatre-vingt centimes qui va être payée ci après.
À ces présentes est intervenu
Monsieur François-Jean-Baptiste Robert, agent
d’affaires demeurant à Arras.
Lequel a par ces présentes reconnu avoir reçu en
bonnes espèces de monnaie de Monsieur Becquembois père
payant de ses deniers personnels pour se libérer
jusqu’à due concurrence envers Messieurs Tirlot de la
somme qu’il leur doit en vertu des présentes et pour
libérer Messieurs Tirlot de la somme qu’ils doivent à
Monsieur Robert qui a remplacé Monsieur Tirlot fils, suivant
contrat reçu par Maître Vasselle et son collègue, notaires à Arras, le dix neuf juin mil huit cent cinquante-trois,
La somme de quatorze cent soixante-quinze
francs quatre-vingt centimes, formant le solde en
principal et intérêts du prix que Messieurs Tirlot
doivent à Monsieur Robert, pour le remplacement de Monsieur Tirlot fils.
De laquelle somme Monsieur Robert donne pleine et
entière quittance à Messieurs Tirlot père et fils et à Monsieur
Becquembois et de laquelle même somme, Messieurs Tirlot donnent
quittance à Monsieur Becquembois à valoir sur le principal du prix du présent remplacement.
Pour l’exécution des présentes, les parties élisent domicile
en leurs demeures respectives sus-indiquées,
Dont acte
Fait et passé à Arras en l’étude dudit Maître
Vasselle.
L’an mil huit cent cinquante-quatre,
Le deux octobre.
Et après lecture faite, les parties ont signé avec les notaires à
l’exception de Monsieur Tirlot fils qui a déclaré ne savoir ni écrire ni signer de ce interpellé par lesdits notaires.
[signés] Tirlot, Becquembois, Robert, A. Lemaire, G. Vasselle.
Acte de mariage du 16 fructidor an IV, registre d'état civil de Flers. Archives départementales du Pas-de-Calais, 3 E 337/3.
Transcription du document
[…] Commune de Flers, pour contracter le mariage d’une part
Antoine-Joseph Hureux, journallier âgé de vingt-quatre [ans], d’autre
[part] Marie-Françoise Louis, âgé de quatre vingt ans, tous deux
domiciliés à Flers, lesquels futur conjoint étoit accompagnés
de Marie-Marguerite Deneux, âgé de cinquante [et] un an,
mère du contractant, Nicolas Testu, instituteur âgé de
quarante [ans], ami des parties, Louis-Joseph Betencourt, âgé
de vingt et un ans, journallier, petit-fils de la contractante
et de Jean-Philippe Betencourt, ami des parties, moi Hipolite
Calva, après avoir fait lecture en présence des parties et
des témoins 1. De l’acte de naissance dudit Antoine-Joseph
Hureux qui cons[ta]te qu’il est né le trois avril mil sept
cens soixante huit, du légitime mariage d’entre Pierre
Hureux et Marie-Margueritte Deneux. 2. De l’acte de
naissance deladitte Marie-Françoise Louis qui cons[ta]te qu’elle
est née à Flers le dix huit septembre mil sept cens
dix huit, du légitime mariage d’entre Jean-
Baptiste Louis et Marie-Françoise Carette. 3. De l’acte
des publications des bans de mariage entre les futurs
conjoints, dressé par moi agent municipal dudit lieux
le douze [du] présent mois publié d’affiche en la
forme voulu par la loi sans qu’il se soit trouvé trouvé
d’opposition après (api) que lesdits Antoine-Joseph
Hureux et Marie-Françoise Louis ont [e]ut déclaré à
haute voix se prendre mutuellement pour époux,
j’ai prono[n]cé au nom de la loi qu’ils étoient unis
en mariage et j’en ay rédigé le présent acte que les parties et les témoins ont signé avec moi.
J. DEGEORGE, Projet de loi sur le recrutement des armées, Arras, 1843. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 841/17.
Alexandre S., Lettre-circulaire aux maires relative au projet d'interdire le remplacement au service militaire. Arras, le 19 juillet 1848. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHC 258/28.
L'Union artésienne compagnie d'assurances mutuelles contre les chances du tirage au sort avec remplacement, 1840. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 590/9.
SERVATIUS, Coup d'œil sur le recrutement et le remplacement dans l'armée, 1836. Archives départementales du Pas-de-Calais, BHB 505.